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J’ai vieilli si vite
Que je voulais me marier à quatorze ans pour fuir les lieux
Pour avoir des enfants
En me promettant de les aimer
De les prendre sur ma poitrine
De les bercer jusqu’à son tombeau
De les bercer de les bercer de les bercer
Jusqu’à ce qu’ils me bercent à leur tour
(p. 73)
Par ces mots, l’autrice traduit bien le profond désir de renverser les choses de l’enfance. La strophe, placée au dernier chapitre (Post maternam) clôt le recueil dédié à son fils, une lettre d’amour en somme.
Au fil des pages, trois générations se partagent le sacre de la vie. La temporalité ici a une dimension existentielle, vécue. Il y a la mère génitrice, sa fille l’écrivaine, l’enfant fils.
Il me faut te dire mon fils
Que je ne serai pas canonisée
Pour avoir poussé durant des heures
Ni après avoir déchiré mon cuir pour te laisser voie libre
Ni après avoir hurlé en déroulant ma colonne pour te
cracher la vie
(p. 13)
Les lecteurs avancent dans la matière du texte (de chair?) à travers neuf chapitres dont cinq portent le nom d’une partie du corps du fils du milieu.
Tu y as cultivé tes espoirs
Et tes rêves d’enfance
Et dressé tes premières amitiés
Tes yeux ont touché de grandes choses
Tes oreilles ont modulé
Tes lèvres ont susurré des mots-fantômes
Zaza riait riait riait
(p. 26)
Le personnage de la mère d’origine, incapable d’accepter la maternité, hante les pages du recueil. Qu’on ne s’y trompe pas, de sauts de puce en saut de chapitre, les mots portent les doléances de la mère du fils.
De ma mère
Il a fallu, mon fils, que j’oublie les coups de bâtons
Ses rictus déchirants et cruels
Les égratignures du diamant de sa bague sur mes lèvres
Il a fallu que je m’éloigne de son mari, mon père pourtant
(p. 68)
Il est trop tard pour la liberté, l’amour peut piéger les mères qui aiment férocement. Dans ce recueil, la poète semble nous ouvrir ses carnets intimes avec bienveillance et candeur.
Je suis marquée au fer rouge
J’ai trop aimé pour être libre
Et j’ai besoin de toi
Mon fils
(p. 70)
Édité avec soin par les éditions du wampum, Toi en moi est le cinquième recueil de l’autrice.
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Francine Allard, Toi en moi, Saint-Narcisse, Éditions du wampum, coll. Poésie, 2023, 73 p.