Farfelue, Biscornue et autres phénomènes de foire: une fable grotesque (par M. Baly) — ÉPISODE 3

reunion-cirque

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ÉPISODE 3: L’EXHIBITION      

Scaramouche, Scapin, Colombine, Isabelle, Polichinelle… Polichinelle!

Tire les ficelles
Tire les ficelles
Ton Polichinelle
Te tendra les bras [4]

Il y avait une troupe de comédiens ambulants dans le coin. Ils jouaient la Commedia dell’arte! Tous ces gens possédaient quelque chose dont était dépourvue Farfelue: du talent.

Et ils étaient venus maquillés et costumés pour voir et entendre les phénomènes de foires.

Après avoir été dégoutés par Gargantuesque qui s’empiffrait; impressionnés par Saugrenue qui pouvait rester sous l’eau de ses larmes un bon vingt minutes sans respirer; épouvantés par Grotesque qui hurlait et émerveillés par Biscornue qui avait fleuri sa barbe pour l’occasion, ils se dirigèrent vers Farfelue.

Biscornue, avec tout son savoir-faire, avait transformée Farfelue en ange salvateur, ce qui s’harmonisait à merveille avec le courant préraphaélite qui était en vogue. Mais Farfelue l’hystérique surjouait, comme toujours. Elle écarquillait trop les yeux pour être crédible. Ourlait trop sa moue pour faire modeste…

Néanmoins, de ce petit visage angélique, il fallait bien que l’un d’entre eux tomba sous le charme…

Tire les ficelles
Et Polichinelle
Aussitôt fera
Ce que tu voudras

De se voir ainsi, belle dans le regard d’un autre… De constater qu’elle pouvait susciter l’admiration sans avoir ni à faire, ni à dire quoi que ce soit… Simplement en apparaissant… Ah! De réaliser cela, à un si jeune âge, c’était enivrant! Que lui importait-il d’avoir du talent puisque son minois était suffisant à ouvrir tous les cœurs!

C’était donc vrai! Il valait donc la peine de souffrir pour être belle! C’était donc pour ça que ses congénères s’infligeaient la torture des corsets et moult autres supplices!

Et puis, voyant Polichinelle tout ébaubi, le petit cœur de Farfelue se gonfla d’amour. Parce qu’en Polichinelle, elle ne voyait pas simplement le très joli garçon. En Polichinelle, elle entrapercevait toute une vie. Tout un avenir. Tout un monde fait d’aventures, de spectacles, de camaraderie…

Et s’il l’emmenait avec lui? Parcourir le monde? Du talent, elle n’en avait point, mais lui, Polichinelle, il pourrait lui apprendre. Pour lui, elle saurait. Son hystérie, elle la doserait. Son jeu, elle le raffinerait…

Ce serait lui, en fin de compte, qui tirerait les ficelles. Elle qui ne savait pas. Elle qui ne trouvait pas. Elle n’aurait qu’à lui obéir. Il la modèlerait à son goût, tel Pygmalion. Et si elle ne valait rien pour le reste de la population, elle s’évertuerait à être tout pour lui. Y avait-il d’autre but que d’être heureux, dans la vie? Et y avait-il d’autres façons d’y parvenir que l’amour?

Elle en était là dans ses réflexions, à parcourir le vaste monde en agréable compagnie, pique-niquant avec la troupe, saluant la foule sous les acclamations, aimée, adulée, vénérée… quand vint le temps de passer à la deuxième partie du numéro: il lui fallut se tourner de profil.

Et ce fut la déconfiture totale.

Vous décrire l’humiliation, la honte, la mortification ne sera pas nécessaire, chers lecteurs. Qui d’entre vous n’a jamais subi de rejet? Qui d’entre vous n’a jamais été accablé par le mépris? Vous imaginerez sans peine les rires méchants, les doigts cruellement pointés vers le nez, vers le menton.

Et Polichinelle?

On se lasse vite
Et le jour viendra
Où ça cassera
Où ça cassera
Où ça cassera

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NOTE:

4. Ouais, bon, l’action se déroule au 19e et cette chanson est d’Édith Piaf, qui a vécu au 20e.… mais bon! C’est mon histoire et je fais ce que je veux. Et tant pis pour les anachronismes! C’est ma licence poétique.

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