Farfelue, Biscornue et autres phénomènes de foire: une fable grotesque (par M. Baly) — ÉPISODE 5

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ÉPISODE 5: UNE AUTRE SORTE D’EXPÉRIENCE

C’était l’horreur! Une vraie boucherie! «Il faut souffrir pour être belle»… C’était un tel impératif, ce devoir de plaire, que les femmes allaient jusqu’à l’automutilation. À froid, on s’amputait les talons ou les orteils. Ou la langue!

Et elles étaient, entre elles, sans merci! S’infligeant les pires humiliations, les cruautés les plus atroces, simplement pour avoir l’honneur d’être celle sur qui se porterait le plus de regards admiratifs. Celui d’un homme en haut de la hiérarchie sociale, surtout. Parce qu’à cette époque, nulle question pour une femme de s’extirper de sa condition par les études ou le travail. Sa seule planche de salut c’était, comme vous le savez tous, le mariage. Mais au-delà des «ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants», ce qui était réjouissant, c’est qu’à la fin, toujours les méchantes étaient punies. Et quand je dis «punies», je parle de punitions s’élevant au rang de torture. Enfermée dans un tonneau hérissé de clous et traînée par des chevaux. Obligée de danser jusqu’à la mort avec des souliers chauffés à blanc… les raffinements de supplices que l’imagination pouvait inventer étaient sans limite!

C’était l’univers des contes que Farfelue venait de découvrir et dans lequel elle se plongeait avec délices. Grimm, Andersen… Elle s’étendait sur le canapé chaque samedi matin et se plongeait dans ces aventures palpitantes, se délectant des détails les plus glauques, des passages les plus sanglants. Barbe-Bleue, Cendrillon, la Petite Sirène, Blanche-Neige… Farfelue était ailleurs!

Cela donna l’idée d’une autre sorte d’expérience à Biscornue, dont l’imagination ne connaissait, elle non plus, pas de limites quant aux sévices qu’elle pouvait infliger à son petit cobaye personnel.

«Va t’asseoir au bout, s’il te plaît, j’aimerais m’étendre.»

Et Farfelue d’obéir, comme la jeune idiote qu’elle était.

Voilà que Biscornue, sans aucune considération pour ce concept abstrait qu’on appelle la pudeur, se mit à introduire cette partie de l’anatomie humaine qu’une des belles-sœurs de Cendrillon s’était amputé dans les parties intimes de Farfelue. Le but de l’expérience était tout simplement de voir comment Farfelue réagirait.

C’était amusant, en fait, de la voir figer. Était-elle consciente de ce qui se passait? Certainement! Biscornue n’avait qu’à observer son visage se troubler pour constater que les questions se succédaient à toute vitesse dans son cerveau alors que son corps, lui, semblait paralysé. «Que se passe-t-il? Que dois-je faire? Dois-je partir? Dois-je rester? Est-ce normal? Est-ce correct? Est-ce moral? Pourquoi Biscornue me fait-elle ça? Comment suis-je censée réagir? »

C’est alors que Biscornue décida d’ajouter un élément à l’expérience: la conversation. Oh, que des conversations banales. Sur le temps qu’il fait. Ce qu’elles avaient mangé la veille. L’idée était de convaincre Farfelue que ce qui se passait n’était pas en train de se passer. Comme c’était fascinant! Farfelue répondait exactement sur le même ton que Biscornue. Celle-ci parvenait donc, en adoptant une voix impersonnelle, à convaincre Farfelue que ce qui était en train de se dérouler était tout à fait anodin.

C’était, pour Biscornue, une expérience jouissive. Oh! Pas une jouissance sexuelle, non! Une jouissance de domination totale. Comment manœuvrer son petit pantin pour le faire réagir précisément comme elle le souhaitait!

Et pour Farfelue, c’était quoi? Farfelue elle-même ne le savait pas! C’était sa première expérience du genre. Elle n’avait pas eu le temps de se questionner à ce sujet… Elle avait neuf ans. Biscornue, dix-huit.

Une réponse à “Farfelue, Biscornue et autres phénomènes de foire: une fable grotesque (par M. Baly) — ÉPISODE 5

  1. Je dirais que c’est l’épisode le moins métaphorique de ta fable. On comprend exactement ce qui se passe.

    J’attends la suite.

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