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ÉPISODE 11: FARFELUE SANS FAMILLE
Qu’était-il advenu
De cette folle de Farfelue?
De tous les registres parcourus
Aucun n’indique qu’à l’asile elle n’ait séjournu
Ce qu’on sait, en revanche, c’est qu’après avoir épluché les contes des frères Grimm et ceux d’Andersen, elle se plongea dans le roman d’Hector Malot, publié une décennie plus tôt. Quatre ans après la naissance de Farfelue, pour être précis.
Lorsqu’à la bibliothèque, elle en vit le titre.
Elle fut interpellée tout de suite
Farfelue s’était en effet mise à fréquenter assidûment ces établissements. Si séjour à l’asile elle avait fait, alors on peut dire que les bibliothèques sont des maisons pour aliénés.
Quel contraste entre cette atmosphère silencieuse, feutrée et celle du cirque où elle avait grandi. D’aucuns trouvaient ces lieux trop austères. Farfelue, quant à elle, en appréciait le mystère Elle appréciait la sévérité du bibliothécaire qui bannissait toute cacophonie et imposait qu’on manipule les livres avec une extrême précaution. Il fallut, certes, qu’elle s’habitue à développer une tout autre attitude, mais après quelques heurts, elle et lui finirent par développer une belle connivence. Elle reconnaissait son autorité et lui obéissait avec déférence. Il percevait son authentique intérêt.
Et de sa déférence, il se flattait. Il finit par développer pour cette toute jeune fille une telle affection qu’il l’invita même à pénétrer dans «l’enfer», ce lieu où étaient conservées les œuvres mises à l’index. Farfelue s’amusa de constater que, comme les livres étaient rangés par ordre alphabétique, les auteurs von SACher-Masoch et le «divin marquis Donatien Alphonse de SADe se trouvaient côte à côte. Et si, une fois les lumières éteintes, les livres prenaient vie? Que pourraient-ils se raconter, ces deux-là? À quelles scabreuses parties de jambes en l’air se livreraient-ils? La bête-à-deux-dos sanguinolente?
Déambulant parmi les rangées de livres, elle épiait les lecteurs, fascinée par leurs diverses attitudes. Un jour, elle en vit un qui mimait les attitudes des personnages. Il se grattait le nez lorsqu’ils se grattaient le nez, baillait lorsqu’ils baillaient, fronçait les sourcils quand ils fronçaient les sourcils… Le plus rigolo, c’était quand il lisait des descriptions du genre: «Elle avait l’air à la fois réjouie et inquiète.» Il se mettait alors à faire toutes sortes de mimiques, visiblement perplexe, n’arrivant pas à déterminer à quoi pouvait bien ressembler une femme qui affichait des émotions aussi diamétralement opposées que la réjouissance et l’inquiétude. Il y eut aussi ce couple d’amoureux qu’elle surprit, lisant un même livre. Il n’était pas le plus beau ni elle, la plus belle. Mais il régnait entre eux une telle complicité que ça en était palpable. Même l’homme bicéphale du cirque d’où elle était issue n’affichait pas la même profonde compréhension de lui-même. C’étaient un lien doux, serein qui les unissait. C’était rare et précieux. Bien plus rare et précieux que la beauté plastique…
Et puis, un jour, un titre l’interpella. Sans famille. Farfelue aussi était sans famille. Et cet univers de saltimbanques n’était pas si éloigné du sien, ou de celui de la troupe qui jouait la Commedia dell’arte. Peu à peu, une idée germa dans l’esprit de Farfelue l’inepte, Farfelue-la-bonne-à-rien, Farfelue-la-sans-talent. Pourrait-elle, comme Rémi, devenir artiste ambulante? Certes, c’était une vie à la dure et elle n’avait pas de «monsieur Vitalis» pour la protéger. Elle ne savait pas, contrairement à Rémi, jouer de la harpe. Mais cette idée d’une vie toujours faite d’imprévus et de voyages, de rencontres et de surprises, bonnes ou mauvaise… ça la prenait aux tripes. Elle ne pouvait résister à cet appel. Toutes ces histoires qu’elle connaissait par cœur…
Et si elle devenait conteuse?
Et c’est ainsi qu’elle partit, un bon matin où l’aurore aux doigts de rose faisait souffler une agréable brise. Avec quelques écus et l’ensemble de sa garde-robe sur elle…
Farfelue avait mis dans son baluchon
Une miche de pain et des saucissons
Un fromage et un petit bout de jambon
Huit cerises et une pointe de tarte au potiron
Le hasard faisant bien les choses (surtout lorsque la narratrice s’en mêle), Elle rencontra, très tôt sur sa route, Pagliaccio et Arlequin Qui avaient été chassés de la troupe sous prétexte qu’ils étaient des coquins. En ce dix-neuvième siècle, il ne faisait pas bon partager les mêmes goûts qu’Oscar Wilde en matière de liens conjugaux… Ils formèrent un trio de joyeux complices.
Trois excellents amis
Qui parcoururent toute leur vie
Les villages de France et d’Italie
De Catalogne et de Normandie
Mon histoire est finie