Les abimes de l’âme (Nathalie Gauvin)

Tulipes-Nathalie Gauvin

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J’écris comme on boit à la nuit
Par désespoir et par dépit
J’écris comme on trinque à la vie
Pour la gloire et par défit.

Mon visage se lit
Des chagrins qui le rongent
Qui pèsent sur sa vie
Qui, en vain, se prolonge
Plus de livres que d’onces.

Dans les sillons de ma main
Où ma souffrance se raconte
Gravée de traits, comme au burin,
Mon destin se confronte
À plus de questions que de réponses.

Ma peau, comme un parchemin gribouillé
Aux aiguillons acérés des ronces
S’est balafrée de scories, là où ils s’enfoncent
Dans l’étreinte d’airain de leurs barbelés.

Chacun des recoins de mes songes
Que mon sommeil a maudit
S’est soulé aux bouteilles de l’ennui
Comme d’un vin de mensonges

Pour repaître d’oubli
Mon âme meurtrie
Des térébrantes douleurs
Qui, dans leurs donjons d’aigreurs,

L’ont esseulée d’amertumes
Inlassablement ressassées
Comme le ressac agite l’écume.
Et l’on inhumée, dans le linceul caustique
Des divergences vitrioliques

Qui isolent, dans leurs suaires dépravés
Toutes les langues qui vitupèrent
Pour se parler
Dans ce vocabulaire
Au fluide d’ubiquité
Qui, trop souvent, nous fait choisir
Les ténèbres à la lumière
L’ignorance et son empire
À la clairvoyance, ce sanctuaire
Qui célèbre les mystères de la tempérance

Et se console d’harmoniser
Bon gré, mal gré
Pour le meilleur et pour le pire
Sans relâche, nos dissonances
Dans le fol espoir de nous abonnir

Pour que, de nos flasques suppliques,
Nous cessions d’abreuver
Les vasques altérées
Soupirant sous nos alambics.

Et que par nos lèvres profanes
S’articule, limpide, comme une larme
Puisé d’un verbe léger et diaphane,
La beauté des mots qui nous enfièvre et nous désarme.

Et dans la vaste nef où ils soupirent
Serti de l’amour qu’il faut pour nous guérir,
Comme des amants, ils nous enlacent
Dans les préludes du plaisir

Où nos aspérités s’enchâssent
Dans les courbes reliefs où se fracassent
Les déchirures dont il faut s’affranchir
Pour museler notre nature fourbe et pugnace.

Afin que les perfides humeurs qui s’exhalent
Des bonheurs cupides des villes
Ne soient ces voyageurs sans escale
Des bonheurs en exil

Qui incubent la fureur de la haine
Dans les limbes du non-dit
Et font des valeurs humaines
Des corymbes de confettis.

Qu’elles ne soient pas le seul tribut
Qui témoignera de nos vertus
Quand il n’y aura plus de jour à l’avenir
Que même «toujours» sera lassé de vivre
Et que notre dernière heure viendra mourir
À l’ultime page de notre livre.

Car, que l’on soit Phénix qui s’embrase
Ou Bellérophon chevauchant Pégase,
Pour traverser l’Achéron
Il faudra bien payer Charon.

Acquitter le droit de passage
En faisant don de cette obole
Qu’offre, en gage de péage,
La portée de nos paroles.

Et le passeur, en les pesant,
Scellera dans son jugement
Si, sur les rivages des Élysées
Nous passerons l’éternité

Ou s’il faudra que, sur la barque des âmes
La mort, ce monarque infâme,
Tel un vandale nous escorte
Dans les décombres des Enfers,
Des catacombes, jusqu’à la porte
Que garde le polycéphale Cerbère,

Et, où baigne, sans dérive et sans sillage,
L’ombre morte, aride et sans visage,
Translucide comme l’onyx,
D’Hadès, qui règne, sur les rives du Styx…

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