La découpe (Nicole Gravel)

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Les propos cinglants touchaient à coup sur sa cible
Quand d’un air de cerbère il aboyait ses consignes
Aucun manquement ou l’ombre d’une inconduite il ne tolérait
Tous gardaient une distance tant physique que symbolique
Son visage angélique que tous craignaient, cachait un être acharné déchainé
Cruel incisif comme un couteau tranchant bien effilé
Il savait faire tenir la cadence lui le maître en ce lieu
Il en coupait des têtes, les remerciait en les scandant de mots savants
Quel déshonneur, quel mépris, quelle indifférence un homme dur et sans cœur
On l’avisait discrètement d’opter pour plus d’indulgence rien n’y changeait
Devenant davantage intolérant comme si oser lui demander l’offensait
Tyran comme certains hommes courts sur pattes il s’imposait du haut de sa petitesse
Sa notoriété lui conférait le droit de la réprimande, de la sanction, du congédiement
Ses études dans des universités prestigieuses déjà comme jeune étudiant il triomphait
Esprit alerte ingénieux il questionnait les pratiques en suggérait d’innovantes idées
Pourtant il n’est pas né arrogant plutôt humaniste et enclin à l’accord
Quand on l’observe à son insu, on voit bien ce côté empathique qui vibre avec ses patients.

Les lumières s’allument on prépare le patient pour une greffe
Le personnel en place attend l’anesthésiste et le chirurgien
Le patient demande à rencontrer l’aumônier il tient à le remercier
Ouf! Juste à temps. L’aumônier l’assure puis l’anesthésiste l’endort
Complétement endormi il remet sa vie entre ses mains
Il voyage, voyage très loin à la rencontre de son destin
Le chirurgien entre, d’ordinaire il ne salue pas, aujourd’hui il s’adresse à chacun
Il enfonce le bistouri dans la chair du patient d’un coup sans hésitation
Puis minutieusement découpe les muscles retire le cœur
Le sien a recommencé à battre hier dans des conditions impensables
La greffe se passe bien le nouveau cœur a retrouvé le rythme
Puis le patient est amené en salle de réveil puis aux soins intensifs
Il ouvre les yeux, on signale au chirurgien que le patient le réclame
Le chirurgien entre en scène
Les deux d’un regard complice assument la réalité surréaliste du miracle
Un cœur nouveau pour chacun d’eux

La nuit dernière ils ont fait le même rêve
Se croisait au-dessus d’eux un cœur avec des ailes pour chacun
Un cœur parfait découpé dans la tourbe du Québec au Nunavut au nord du cinquante-cinquième parallèle
Constitué d’un croisement de caribou de lièvre, oie des neiges en automne
Comme en ce moment décisif le destin a parlé
Jeunesse et douceur, tendresse et paix
Deux hommes, un rendez-vous pour un unique destin
Le médecin sort courir près de la rivière Péribonka
Le patient contacte sa fille qu’il n’a pas vue depuis vingt-cinq ans
La nature coule en eux libre de vivre et d’aimer vivre.

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