Le roi Contumace (par Paul Laurendeau)

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Résumé du roman (par Laurendeau et Berger): Serge-Ours Noiseux, dit Sournois, quêteux, mandoliniste de rues et versificateur automatiste du Faubourg Saint-Laurent à Montréal, Québec, Canada, est abruptement propulsé roi d’un ensemble de mondes dans la lointaine constellation de Proxima Centauri. Il se donne alors le nom officiel de Contumace 1ier. Ce petit changement d’échelle dans l’appréciation qu’il est forcé de porter sur lui-même ne laisse par le personnage tout à fait de marbre mais enfin, on a connu plus estomaqué. Tout de suite, Serge-Ours égrène commentaires et questions, tandis que le protocole s’agite autour de lui, l’inondant de gros billets de banque et de facilités multiples, entremêlées d’un peu de mondanité et d’un solide petit ensemble, ardent et imprévisible, d’opportunité amoureuses.

Ce roman inattendu nous fait faire un petit tour en touristes dans le Montréal des artistes de rues autant que dans les hautes sphères de l’autocratie sidérale décomplexée. Une problématique politico-artistique s’y esquisse. C’est qu’en compagnie du roi Contumace, on fait plus ample connaissance avec ce petit morceau de bravoure fictionnelle, qu’est la monarchie constitutionnelle. On confirme que cette dernière vide le roi de ses pouvoirs alors que son peuple le garde, pantin scintillant, gonfalon flacotant, phare pulsionnel en rythme. Sous monarchie constitutionnelle, on charrie en pleine vie publique certains des éléments les plus tragicomiques des contes de fée. Le Roi Contumace, qui écrit en Je dans un style flamboyant, goguenard et lapidaire, nous parle de son court règne et ce, en le traitant ouvertement dans l’angle délirant, l’angle barbouilleur, l’angle narcomane, l’angle dadaïste, l’angle amoral aussi, cruel, roide, arbitraire, inquiétant. Le lecteur est ici, aussi, convié à une rencontre métissante entre l’héritage du sceptre anglais et de la guillotine française (sans oublier les tempêtes de neige soviétiques, donc nordiques). Le résultat est une petite satire bouffonnement post-coloniale autant que suavement cosmologique.

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LE POUVOIR RÊVÉ (compte-rendu d’Allan Erwan Berger): Le roi Contumace fait apparaître clairement que, tout comme Woody Allen joue avec ses psys, ses femmes, ses juifs et son New York, Laurendeau lui aussi tourne et retourne autour de thèmes et de supports de thèmes qui lui sont très chers, et sur lesquels il a beaucoup à dire par théâtre interposé. Ici, il en revient au pouvoir. Adultophobie et le Cycle domanial nous avaient parlé du pouvoir absolu, et de la solitude qu’il sécrète comme un cocon nécessaire ; Le roi Contumace plante au bord de ce jardin terrible une allégorie d’avertissement : toute pulsion, jusqu’à la plus sourdement constituée, en éclatant chez le souverain, s’y répand en toute impunité, légère et sans conséquences morales automatiques car elle ne peut se confronter qu’à une seule instance d’égale puissance, qui est le souverain lui-même.

Or, s’il n’a pas de conscience, s’il n’est pas adulte, s’il s’en fout de lui-même, s’il est Napoléon le Petit, alors il n’aura jamais honte, le souverain. D’autant plus que sa honte ne pourra même pas naître du regard des autres, puisqu’iceux ne verront jamais de lui que quelques pauvres pantomimes organisées : défilé, balcon, bénédiction, agitation de la royale papatte. Qu’il soit planqué au fond de la brousse comme dans Adultophobie ou isolé d’absolument tout comme dans les palais de Contumace, le souverain ne regrettera jamais rien à cause d’autrui puisqu’autrui ne peut lui peser. C’est seulement si le souverain porte en lui-même une éthique qu’il lui sera possible, éventuellement, de s’accuser, de se défendre, de s’analyser, d’avoir enfin honte et, s’il en ressent alors le besoin, de se punir, ou de se mentir. Nulle force extérieure à lui ne saurait le contenir, et il ne connaît qu’un juge, qui est lui-même, magistral ou fantoche selon le cas.

Cependant, ce super pouvoir conféré à un quidam, ça laisse des traces dans le monde. C’est d’ailleurs organisé pour ça. Non seulement par les morts que ça sème, mais aussi dans les mots que ça touche, dans les concepts que ça transmet, et donc dans la pensée politique que ça induit rien qu’en existant en tant que source. Le souverain porte donc en lui les conditions de sa propre évaluation venue de l’extérieur ; et voilà que lorsque celle-ci lui arrive, notre Contumace du roman Contumace en tient compte !… Aussi, après en avoir conféré avec lui-même, Contumace sera décapité par Contumace, et, cerise sur le gâteau, par contumace. Tout sera bien qui finira bien, la démocratie s’installera, vive la république et vive la musique. Contumace redeviendra Serge-Ours, peinturlureur, mandoliniste, amoureux comblé, petite célébrité du Plateau Mont-Royal à Montréal, Québec, Canada, sur un continent sis sur la petite motte de Terre dans la constellation du Soleil.

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QUE DEMANDE LE PEUPLE? (compte-rendu de Perrine Andrieux): L’uniforme acheté et enfilé, elle me ramène, presque distraitement, au Rectangle Saint-Louis. Kiosque, caverne pâlotte, trône-pensum (il porte vachement bien son nom, celui-là, par les temps qui courent). Me revoici sanglé et fin paré pour une autre ballade protocolaire. Roussette se penche sur moi et trouve encore moyen de me dire : « Vous êtes parfait. La duchesse Pierre va en tomber dans les pommes. » C’est ça, cruelle. Fais ta petite entremetteuse maintenant. Biboche-moi avec des vieilles pétasses dans ma tranche d’âge. Je ne lui dis pas ça explicitement, évidemment. Un roi ne dit pas des choses comme ça à ses sujets.

Serge-Ours Noiseux a arrêté la drogue, il le jure, il est droit comme un cèdre. Il le jure tellement qu’on en doute. Ancien acteur devenu clochard, il joue de la mandoline sur une place de Montréal. Pourtant, quand on le révèle roi des Sept Mondes et qu’il s’assoit sur son trône-pensum, on a envie d’y croire. Quand il enfile un costume et se coupe les cheveux à la George V, on a envie d’y croire. Quand son hologramme se promène de monde en monde auprès de ses sujets émerveillés, lui sanglé dans une cave montréalaise, on a encore envie d’y croire ! Il est Contumace 1er. Et on le suit avec délice réprimer un mouvement absolutiste de groupuscules muscadins en culotte d’aristo moulante et fluo, visiter le Musée d’Art Dadaïste et Automatiste de Montréal en compagnie d’Olivia Cromwell, marier la belle Roussette à Edouard Septime… Lorsque soudain, le mythe s’écroule. Parce que même dans les Sept Mondes, il reste indivisible de ses valeurs et de ses vices d’avant. Perdant lentement sa légendaire placidité, il assassine ses deux petites pages – alors qu’il ne peut physiquement pas les toucher. Il s’immisce dans les pensées de ses sujets, contrôle tout, quoiqu’involontairement, par son omniscience de roi. Sa représentation holographique perd de sa superbe, de son éclat. Le peuple se révolte. On condamne le roi par contumace. On lui tranchera la tête aussi par contumace.

Ma petite surprise du jour, c’est que, ventre-saint-gris de sicroche, ils n’ont même pas de guillotine, mes bonnes gens des Sept Mondes.

Je dis, grave : « Tu montreras ma tête au peuple. Elle en vaut la peine. »

Paul Laurendeau fait preuve d’un style extravagant et déjanté, au service d’un texte symbolique. Le symbole, oui, de la liberté acquise qu’il faut protéger. Pour vivre heureux, vivons cachés, loin des trônes, des visites protocolaires et des pleins pouvoirs. Sous la drôlerie décadente de son hologramme, le roi Contumace est la métaphore, en joualonnais s’il vous plaît, de nos valeurs morales. Que demande le peuple ?

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Commentaire de Paul Laurendeau sur l’écriture du ROI CONTUMACE: Alors, il faut admettre que je commence déjà à écrire en fonction démarcative de ce que j’ai écrit auparavant. L’idée était donc ici de façonner un personnage central qui soit une caricature directe de moi, mon âge, ma dégaine, ma bonhomie, ma faconde verbale et comportementale, mon héritage artistique personnel, mes fantasmes amoureux. C’est pas mon truc, habituellement, de servir personnellement de base à ma fiction, comme le font si merveilleusement Jack Kerouac ou Marjane Satrapi. J’ai pas fait ça souvent aussi ouvertement. Je me suis donc laissé dépayser par ça, ce traitement là, incongru pour moi. Le cadre montréalais s’est alors imposé de lui-même. J’en suis imprégné, à la fois anciennement et fraîchement. Amour d’un espace et envie d’écrire dedans vont ensemble. Il ne faut pas pousser l’envie d’écrire, de tête. Il faut la laisser venir des lieux et des gens qui nous écrinent, de corps. Le Carré Saint Louis (endroit où on rencontre deux types de gens, des vieux Contumace avec instruments à corde, et de jeunes et jolies Roussette qui promènent un chien — c’est saisissant), la promenade urbaine sur la Catherine, de l’intersection avec Saint-Hubert jusqu’au Quartier des Spectacles, les clodos du Faubourg Saint-Laurent, sagouins philosophico-musicaux incomparables, c’est ma place et ma gang, depuis six ans. Dans cette ville, je retrouve tellement d’émotions de mon adolescence, aussi, dont j’ai été sevré pendant vingt ans de Canada anglais. Oh, oh, Canada anglais, il me teinte et me freine, celui-là. Une idée s’esquisse. Attention, les québécois ont souvent traité ce thème. Il faut rester frais, dispos et surtout, sans hargne. Badin, chafouin. Enlevant.

Lors de la visite du Duc de Cambridge et de sa charmants épouse au Canada (en 2011 — deux pros de la relation publique qui coûtent cher à faire venir mais qui vous pètent un de ces show de fantasmatique nationale), ça a rouvert la plaie ancienne, fatale, de ma réflexion sur la monarchie constitutionnelle. C’est un petit morceau de bravoure fictionnelle, que la monarchie constitutionnelle. On dévide à fond le roi de ses pouvoirs mais on le garde, pantin scintillant, gonfalon flacotant, phare pulsionnel en rythme. Et on l’aime. Comme coupables d’avoir des droits et de les prendre, on l’adore. Rock star, il déplace les foules. Oh, il y a des rois et des reines dans les contes de fées, c’est pas pour rien. En monarchie constitutionnelle (pas absolue – cette dernière tue le mystère), on charrie en pleine vie publique certains éléments délirants desdits contes de fée. Il y a du fictionnel en pagaille là-dedans, tiens. Et on en parle pas si souvent dans l’angle délirant, justement, l’angle barbouilleur, l’angle narcomane, l’angle dadaïste, l’angle amoral aussi, cruel, roide, arbitraire (sans le jugement gnagnan usuel: suis-je pour, suis-je contre). En plus, une rencontre métissante de l’héritage du sceptre anglais et de la guillotine française (sans oublier les tempêtes de neige soviétiques, donc nordiques) en un rutilant racoin satirique colonial, c’est tout moi ça. Précipité de l’idée. Soudain les choses s’imposent presque comme un devoir. Moins un devoir de mémoire qu’un devoir d’ironie grinçante et bouffonne, à l’irlandaise. Il faut vivre en pays occupé pour bien sentir ça.

Être un roi, donc, mais un roi passif, contemplatif, fabriqué de toute pièce par un délire, possiblement collectif, possiblement privé et hallucinatoire, certainement post-colonial dans les deux cas. Il y a de quoi à fouiller, là. Ensuite, houlà, pas envie de me faire accuser de fautes de réalisme historico-machin, la barbe (de George V)! Alors, mon roi constitutionnel sera celui d’un lot de mondes galactiques, genre cosmos de Bergerac ou du Petit Prince. La fiction, tant intégrale qu’évasive, de certains segments, c’est le refuge parfait contre les critiques vétillardes du réalisme étroit. Un peu de science-fiction (pas trop! — la sf est un dangereux absorbatron) et on est couvert. Roi barbu vieillotte de Proxima Centauri la futuriste, empire sur lequel le Soleil ne se couche fatalement jamais (boutade), y en aura pas un esti pour me dire que j’ai «mal» décrit l’ambiance politico-sociale. La sainte paix fictionnelle, donc. Même mon Montréal incorpore des éléments délirants auto-protecteurs. Le restaurant La Galoche et le salon de coiffure Chez Moustache n’existent pas, la station De Montigny ne porte plus ce nom depuis des décennies, le MADAM et la Bibliothèque Neuve sont renommés, Ovide Érignaque (un petit peu basé sur Claude Gauvreau) et Cyprien Songe (un petit peu basé sur Jean-Paul Riopelle) sont pleinement à moi. J’en fais ce que j’en veux. On peut donc pas m’accuser d’avoir mal tué un Gauvreau et d’avoir mal «peint» un Riopelle. Le Malheureux Magnifique, le buste d’Émile Nelligan, les vespasiennes-sandwicherie du Carré Saint-Louis et la statue de Mère Gamelin restent en place, eux. Que voulez-vous: je les aime.

Roussette et Olivia, là c’est de la fantasmatique personnelle profonde, mystérieuse, insondable. C’est le scotome lancinant devant mon œil-auteur. Elles, elles sont toujours un peu là, dans mes romans, en versions distinctes, comme les actrices de la petit compagnie d’un même tréteau, d’une pochade à l’autre. Ce sont des variations involontaires sur Dulciane et Rosèle, ceux qui m’ont lu le voient bien. Roussette, c’est pas compliqué, c’est mon déclencheur d’écriture. Quand Roussette prend place dans le script, tenez-vous bien c’est dit, la pianote démarre. Je sais pas pourquoi, je sais pas qui c’est (et je m’en fiche bien). Mes fantasmes, comme les vôtres, ça ne s’explique pas. Ça se vit et, si on écrit, ça se donne, sans tergiverser. Écrire est un trip intérieur, finalement, solitaire et égoïste. Comme c’est un trip de la jouissance fictionnelle de l’ego, pourquoi ne pas, parfois, faire de cela, justement aussi, un thème. Le monde de Contumace existe de par Contumace. C’est un peu sur l’écriture fictionnelle qu’on médite ici, en se marrant bien dans le monarchico-constituto-toc. Quand Olivia Cromwell se rend compte que sa pure et simple existence à elle sort possiblement de cette tête, eh ben, adepte involontaire du roman expérimental, elle entend la couper, pour voir. Pour voir plus clair. Pour voir ce qui se passe. Mais elle la coupe par contumace. Et donc, ben, la tête continue de déconner. Et Olivia n’y peut pas grand-chose, c’est si suave, quelque part.

Un cadre, une atmosphère qu’on laisse très lentement venir, monter, des personnages qu’on aime d’amour, un récit qui a du rythme, des thèmes auxquels on croit (ceci est crucial, souvent discret mais toujours crucial) et, indéfinissable lui, le fun, la jubilation, la joie folâtre. Écrire de la fiction, c’est vraiment pas de la tartinade de commande. Il faut prendre le temps et n’y aller que quand le plaisir y est. Pas une seconde avant.

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Paul Laurendeau (2015), Le roi Contumace, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou Mobi.

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