LA BLESSURE DES MOTS (Thierry Cabot)

Voici, serein, blafard et fier, un puissant recueil de cent trente poèmes versifiés, armaturés, ciselés. La blessure des mots est un exercice solidement formulé et indubitablement généreux dans la forme, tout en s’avérant empreint d’une cuisante tristesse intimiste dans le fond. Vieillissement, mort, amours racornis, perte de la foi, futilité du fond des choses, modernité en capilotade, religiosité déchue, métaphysique dérisoire. On sent tous les effluves délétères du bilan de vie et de l’apposition des cachets sur l’huis ligneux d’une époque. Mais c’est quand même un bilan de vie qui chante, qui psalmodie, qui récite en cadence et qui voit, à l’oeil nu, la musique, comme on voit, inexorable, le grain ferme et froid d’une gueuse de fer. La force d’évocation de ces textes est absolument remarquable. Moi, qui mobilise prioritairement la poésie pour peindre et visualiser des miniatures, j’ai senti la vigueur, la solidité, la langueur, liquide et dense, du ressac sensoriel et émotif, quand Cabot m’a ramené au Pays des Plages, en un tout petit matin d’été, sur le port.

Un matin d’été sur le port

Ayant vaincu la nuit, l’aurore toute molle
Semble un long drap laiteux piqué de veines d’or,
Comme si jusqu’au sein de la blancheur qui dort,
Des fils de diamants tissaient une auréole.

Puis vaporeuse et blonde à la pointe du môle,
Tout à coup la nue ivre éclabousse le port
Et le vent secoué d’un magique transport,
Déguste à l’infini la lumière qu’il frôle.

Les barques scintillant sur le tapis des eaux,
Avec sublimité, vibrent de chants d’oiseaux ;
Le grand ciel ingénu fait pétiller chaque âme ;

Et le soleil toujours plus vaste et glorieux,
Dans la tiédeur marine où se jette sa flamme,
Caresse longuement tous les cœurs et les yeux.

Thierry Cabot, et je suis inconditionnellement à ses côté là-dessus, nous confirme, sans ambivalence ni tergiversation, que la poésie versifiée est toujours avec nous, et sublimement vigoureuse. Il cultive l’alexandrin (comme Jacques Brel dans Les Flamingants), le décasyllabique (comme Georges Brassens, dans La chasse aux papillons), l’octosyllabique (comme Raymond Lévesque dans Quand les hommes vivront d’amour), le demi-alexandrin (comme le parolier d’Édith Piaf, dans Milord) et bien d’autres formes versifiées aussi, régulières ou plus irrégulières. Et, oh, il y a de l’indubitable, monumental et pacifié, dans les références poétiques qu’il promeut, en sus, implicitement ou explicitement. Dans le poème Mon panthéon poétique (p. 161), Thierry Cabot nous aligne en effet le chapelet de ses maîtres: François Villon, Pierre de Ronsard, Alfred de Vigny, Victor Hugo, Gérard de Nerval, Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Émile Nelligan, Guillaume Apollinaire, Paul Valéry, Henri Michaux et René Char. Les ancêtres y sont bel et bien. Ils font puissamment sentir leur présence, à chaque page. N’y voyez surtout pas le triomphalisme rigide d’un académisme fixiste. C’est tout le contraire qui s’impose à nous, au fil de la déclamation qui sonne. C’est triste, c’est cuisant, c’est grandiose, mais nul autre ne sait nous dire comme Thierry Cabot que, de fait, il n’est rien d’éternel et rien de dogmatique.

Ah ! Ne savons-nous pas que tout se décompose,
Que l’aube court déjà, tremblante, vers le soir,
Que nous ne respirons jamais la même rose,
Que tout succède à tout et se fond dans le noir ?

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Thierry Cabot (2011), La blessure des mots, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou PDF.

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