Farfelue, Biscornue et autres phénomènes de foire: une fable grotesque (par M. Baly) — ÉPISODE 4

reunion-cirque

.

ÉPISODE 4: JEUX

— Veux-tu bien m’expliquer d’où te vient une telle cruauté?

— Mais enfin, Mère! Je vous assure que je n’y suis pour rien! Je la trouve tellement jolie, moi, Farfelue. Je n’avais aucune idée que les spectateurs ne partageraient pas mon avis!

— Tu me jures que tu n’y es pour rien?

— Moi? Mais voyons, Maman! Vous savez bien que j’ai passé des heures à la coiffer pour qu’elle soit ravissante!

— Ta sœur est en pleurs!

— Attention, mère! Elle vous manipule! Elle veut se faire plaindre. Elle n’est pas si triste que ça, vous savez… Je l’ai vue, il y a cinq minutes à peine, s’amuser avec des petits chiots et rire aux éclats. Elle joue sur vos sentiments, maman! Et puis les badauds n’ont pas été si méchants! Elle dramatise! C’est une grande tragédienne, vous savez! Prenez garde! Elle fera de vous ce qu’elle voudra!

— Tu as sans doute raison… Je vais tâcher d’être plus circonspecte, à l’avenir…

o0o

Au début, ce furent toutes sortes de boutons qui disparurent des pardessus. Des petits et des gros, des noirs et des roses, en bois, en velours, à deux ou quatre trous… Puis, ce furent les arachides de l’éléphant. Les dés des jumeaux Hurlu et Berlue…

Gargantuesque vit disparaître ses pains, ses craquelins et ses bonbons. Le magicien, ses fichus et ses balles. Saugrenue, quelques dominos. Grotesque, ses volants de badminton… De toute évidence, il y avait un kleptomane dans la troupe…

Que pouvait-on faire avec une brosse à soulier brisée? Des trappes à souris cassées? Des clefs rouillées? Des pinceaux imberbes? Des paniers percés? Des gants troués?

Des petits villages!

Sous les mains expertes de Biscornue, sous le regard émerveillé de Farfelue, les arachides devenaient des ours de peluche. Les dominos se transformaient en escalier. Les trappes à souris, des façades d’immeubles. Là, dans le coin, apparaissait un lit fait en pain, avec un joli fichu vert de Scheele pour faire le drap. Ici, quatre chaises en craquelins. Des lampes faites en bonbons. Un tapis constitué de boutons multicolores… Des tampons encreurs pour des cheminées. Un éventail pour un rideau. Cette porte faite en peigne. Ce bouchon de bain pour un bateau et ce bouchon de liège pour un chien. Là! Cet arbre est en fait un plumeau! Ce kiosque, un volant de badminton.

Et Farfelue passait tellement d’heures à jouer dans ces charmants petits décors, élaborés avec tant de minutie, que lorsqu’elle partait en promenade ensuite, elle avait l’impression de déambuler elle-même dans le village-jouet d’un enfant plus grand. Et tout ce qu’elle voyait, elle se demandait comment elle pourrait se le représenter. Ce monocycle, par exemple, pourrait-il être construit avec un bouton et du fil de fer? Avec quoi pourrait-on faire un accordéon? Ce serait drôle de trouver de quoi construire une mini calèche. Il faudrait trouver quelque chose pour faire les chevaux!

Et c’est ainsi que Biscornue, par son talent, suscitait l’admiration et la gratitude de Farfelue, tout heureuse de se voir invitée dans son univers. Toute guillerette à l’idée de passer du temps avec sa grande sœur, qui inventait des mondes si poétiques, si magiques… Biscornue passait l’autre moitié de son temps libre à s’occuper des animaux blessés ou malades du cirque, ce qui lui valut bien vite la réputation d’une sainte. Sainte Biscornue.

4 réponses à “Farfelue, Biscornue et autres phénomènes de foire: une fable grotesque (par M. Baly) — ÉPISODE 4

  1. Fascinant. Cette auteure a du talent. Elle nous transporte dans un univers envoûtant et coloré. M. Baly sait susciter l’intérêt. On attend avec impatience la suite de cette fable.

Répondre à michelebaly Annuler la réponse.