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J’avais une vie avant… Une vie douce et sereine, étrangère aux naufrages de l’existence. Une vie, qui se croyait ancrée de raison et dont les roulis et le tangage, jusqu’à lors, n’avaient jamais suffi à ployer la carène au large des chenaux étroits que suivent les navires en partance, et, qui se balisent, millénaires, de l’usure de leurs sillages.
Une vie, qui n’avait jamais larguée les amarres, que pour naviguer sur les eaux tranquilles de la normalité, du commun et du nombre, là, où jamais ne s’entend le chant envoûtant des sirènes, qui, pour quelques chimères, vous font risquer, sans boussole ni sextant, les vastes solitudes de la haute mer…
Et cette vie, j’aurais pu la vivre tout entière, comme beaucoup, sans connaître jamais cet exil déchirant aux frontières de l’inconnu; mais, ta fuite, que je sais sans retour, fit de moi ce voyageur de l’éther, dont l’errance s’immole aux confins des mondes invisibles; moi, qui n’avais jamais fait, que sillonner sans péril, le pays prévisible de mes horizons intérieurs.
J’étais forte, autrefois, de toutes mes certitudes. Me suffisait cet être défini de valeurs et de foi, que j’avais forgé aux creusets de l’émoi, pour chevaucher l’existence et appréhender la souffrance de vivre, avec, pour tout savoir, le seul courage de sa sensibilité et l’innocente candeur de sa jeunesse.
Oui, j’étais forte, autrefois, de tous ces espoirs que l’on avait mis en moi et dont j’étayais, avec assurance, les voûtes de mes cathédrales. Pourtant, j’ignorais que leurs assises et la splendeur de leurs murs, ne s’érigeraient jamais, que vulnérables et éphémères, sur des sables mouvants.
J’avais une vie avant… Avant que ne se fissure et ne se gerce les parois de mon âme… Qui eut cru, que, comme Alice, il me faudrait te demander de me tenir la main, toi, qui te conjugue désormais d’infini, afin de me guider, comme le Lapin Blanc, au cœur de cette brèche insondable qui s’ouvre au-delà du réel, de l’autre côté du miroir…
Qui eut cru, que j’aurais à voyager jusqu’à ma mort, pour, peut-être, comme le phénix, trouver renaissance à franchir ce passage…
Et si j’allais me perdre dans les méandres obscurs de l’esprit? Qu’à vouloir transcender ma souffrance, je ne faisais que disloquer mon âme, percutée aux parois de mes délires?
Et si, pour survivre au-delà de tout, je risquais l’égarement? Que j’appareillais vers l’inaccessible et mettais voiles au plein sens? Que trouverais-je au-delà de l’horizon visible?
Ramènerais-je en mes cales
Quelques trésors si fabuleux
Qu’ils n’attendaient que cette escale
Au périple de mon esquif
Pour me laisser les découvrir?
Ou sombrerais-je dans les abysses
Tristes et solitaires du rêve
Comme tant de ces barques de lune
En quête d’aurores boréales?
Comme tant de ces bateaux de brume
Survivants de l’imaginaire
Que l’on enfante dans l’éther
Entre l’espoir et l’amertume
Hantant les lueurs vespérales
Des feux Saint-Elme qui se consument
À se dissoudre dans leurs voiles,
Évanescentes comme l’écume?
Comme tant de ces vaisseaux précieux,
Aux bois de rose ou de santal?
Ceux qu’on incruste d’or massif
Qui cherchent des routes aux étoiles.
Qui bravent, corsaires et mistrals
Pour des louis d’or et des épices.
Ou voguent en des eaux d’infortunes
Qu’azur des soleils excessifs
Sans autres haleines qui les essoufflent
Que vents qui tiennent dans un souffle.
Et qui se condamnent au naufrage
Pour n’avoir su se prémunir
Contre les dangers du voyage.
Ni mouiller l’ancre en quelques terres
En quelques havres, quelques rivages…
Et qui reposent leurs épaves
Au linceul de toutes les mers
Aux lits desquelles elles s’enclavent
Pour ne laisser de leurs sillages
Que ces lambeaux d’écumes brèves
Au tombeau de chaque récif?
Que me dirais-tu, alors, toi que j’ai tant aimé? La voix de ta raison me chuchoterait-elle qu’à refuser cette urgence d’écrire par laquelle l’univers se dévoile, sachant que le pouvoir de dire est la force qui le crée, qui engendre et féconde ses pouponnières d’étoiles, m’auraient déjà vaincu tous les dragons qui me hantent, condamnant mon regard aux ténèbres immuables et rendant vaine à jamais, ma quête de toi…?
Et toi, qui ne me connais pas encore, mais qui déjà, t’infiltre et te dissous en moi, comme le fleuve dans la mer; toi, qui me feuillette à livre ouvert, avec désinvolture, qui m’habite et me dévêt de la seule force de ton regard, sache, que si tu t’embarques à mes côtés pour cet ailleurs sans nom qu’habite le tourment, l’espoir et la blessure, j’accueillerai avec humilité ta nef, que tu ajoutes ou non, le poids de ton jugement, au fardeau de ma détresse…
Mais à qui parles-tu donc ainsi, poète? Qui interpelles-tu? L’univers entier est dans tes mots, toute la détresse et puis aussi un peu de cet espoir du monde à reconquérir… Dis-moi qui te répondra, car la force de tes plaintes dépasse l’entendement humain, à la fois simple et si sourd. Si sourd… Mais crie encore, veux-tu? À te lire, je me suis dit : la Vie existe encore, et les Mots se battent pour être. Crie et écris encore.
Ah chère Ghislaine, chère amie, chère poète, chère âme sensible, cher coeur noble, cher lumineux espoir, cher concentré de bienveillance, d’amour, d’authentique altruisme….que serait ce monde sans la rare beauté des êtres qui comme toi se portent toujours au secours des âmes perdues et déchirées comme la mienne? Merci D’ÊTRE de tant de richesses et d’amitié, merci D’ÊTRE tout simplement !
Merci, chère Nathalie, pour cette bien jolie navigation intérieure sur l‘éther du cœur, avant l’effloraison de la grand-voile de l’Être, sous le mistral vainqueur… D’un cœur solidaire, Stéphane