Faim de vivre (Nathalie Gauvin)

Tulipes-Nathalie Gauvin

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J’avais, me disait ma mère à me humer, la fraîcheur de la mousse qui tapisse les bois où l’ombre se fait douce, cette haleine sucrée fleurant les fraises des champs et cet arôme délicat dont elle se grisait, me respirant, et qui s’exhale des bouquets que fleurissent le romarin, la lavande et le thym poussant sur la garrigue. J’avais ce rire limpide et cristallin qu’elle s’empressait de boire comme s’il lui fut trésor plus précieux qu’un saphir taillé dans le bleu du soir.

Mais j’avais aussi cette faim pressante qu’elle ne pouvait assouvir, sachant, que plus elle s’étanche, plus elle revient vous assaillir… une faim violente comme celle de vivre, une faim touchante comme le souvenir, les affres de l’absence, la douleur du partir… dont vous ne savez pas s’il faut la maudire ou bien la mettre au monde à chacun de vos pas, comme une délivrance qui sait s’apprivoiser des mille souffrances qu’on conjugue à aimer…

Une faim perfide comme l’onde qui dort, qui n’a pas une ride ni l’ombre d’un remords, quand sa nappe fluide vous berçant, vous endort et vient se clore placide et sans le moindre effort sur toutes les aurores qui vous auront vu vivre et chacun des espoirs qui ont su vous nourrir.

Une faim torride, ardente et avide, qui embrase et dévore comme le désir, qui sans fin vous tourmente pour mieux vous meurtrir, vous mord et vous tenaille, vous lacère et vous hante, vous fissure, vous cisaille, vous broie et vous éventre.

Une faim qui vous nargue
Comme ces mers étales
Que ceignent de saphirs
Des eaux de cristal
Où feignent de mourir
Et le vent et la vague
Et l’haleine et le sang
D’effervescents orages
Dont ne s’étanche l’ire
Qu’à l’ivresse du large
Quand l’aquilon surprend
Endormie dans leurs voiles
Ces nefs qui soupirent
Aux lampions des étoiles
Et qu’on entend gémir
Sous l’aigreur des rafales
Qui soudain les déchirent
Les broient et les empalent.
Elles s’offrent sans armures
Aux abysses insondables
Qui déjà les emmurent
Dans des coffres de sables

Dans les tombeaux d’azur de l’incommensurable
Où silences, inlassables, bruissent et murmurent…

S’inventent des errances, entre raison et délire, des chemins de batailles, qu’on s’acharne à poursuivre, croyant que l’on s’épargne à braver sa luxure, qu’elle ne soit cette faille, ce point de rupture, ce bien étrange mal qui saura vous occire, que vous le guerroyez d’une lutte à finir.

Elle ne sait se suffire d’aimer ou de haïr, d’être ou d’avoir été, rien ne vous en délivre que d’être condamné à ce qu’elle vous survive pour mieux vous affliger de toutes ces blessures qui semblent s’aviver de ne savoir mourir… d’être les déchirures qui peuplent le passé de toutes ces douleurs qu’on ne sait pas guérir…

C’est une faim troublante, que celle de dire… dont les flammes ardentes, que vous ne pouvez fuir et qui vous courtisent, sitôt qu’on vous enfante, à vous brûler vous invente ou bien vous détruise.

Une réponse à “Faim de vivre (Nathalie Gauvin)

  1. Écriture dense, forte, à ne pas s’en sortir indemne… L’un de mes préférés, bien que j’aie beaucoup et souvent aimé tes textes. Une merveille, Nathalie!

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