Des hommes comme mon père (Nathalie Gauvin)

Tulipes-Nathalie Gauvin

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Des hommes comme Maxime, mon père, disait-elle, sculptés à même le roc des falaises qui défendent la beauté d’un rivage lacinié d’anses secrètes, en bravant, inlassablement, la fureur impitoyable des lames de fonds qui les martèlent et les érodent.

Des hommes de courage, qui ont jeté à la mer, telle une offrande, les voiles d’écumes de leurs goélettes, risquant ces vents puissants qui se mutinent, au large du golfe, l’habitant de la violence de leurs rafales blanches.

Des hommes fiers, au regard franc, qui tenaient leur force de ce qu’une mer malicieuse les avait éprouvés tant de fois, fomentant aux versants de fluents horizons, quelques grains sournois, à harceler la voilure laiteuse des grands mats et à jauger cette acuité qu’acquièrent les marins à côtoyer l’imprévisible et qui s’affine d’avoir usé des années de bourlingue à l’impétuosité tumultueuse des océans capricieux. Une acuité, dont l’usage permit à ces princes du vent, de s’instruire à l’art antique de décrypter les présages, écrits d’une encre inédite et subtile, au grimoire des nuages…

Des hommes, qui avaient trop côtoyé l’effort, la peur, la souffrance et la mort, pour que ne se tisse entre eux, tels d’insécables liens, l’unité que consolide la force de la solidarité, la persévérance que confère une volonté qui ne s’économise d’aucune peine, le courage incommensurable de l’abnégation et la gratuité touchante du sacrifice…

Des hommes, quittant le refuge rassurant du mouillage où soupire la grève vaporeuse, dans sa guipure de brumes, pour retrouver l’ivresse dont le regard s’éprend à scruter l’infini, là où se conjugue et se confonde à l’azur éthéré, les violets d’améthystes et les glauques saphirs fluides, qu’embrase d’aurore l’aube naissante.

Des hommes, qui, pour s’abreuver des embruns salins de la liberté, souffraient ces entailles profondes qui lacéraient leurs mains halant les filets chargés de l’exubérance de la pêche, comme ils souffraient l’entrave de s’encorder à la misaine, pour que ne les emporte au large, la fureur sourde des vagues déferlantes, sachant, que l’on ne peut briguer l’impossible sur des mers déchaînées, sans lui consentir quelques tourments et se définir d’humilité devant ce qui est plus grand que soi…

Des hommes qui savent bien, pour avoir pleuré en silence, un fils, un ami ou un frère, qu’à rêver des eaux riches qui peuplent les grands bancs, au large de Terre-Neuve, il en coûte trop souvent le péril d’en sonder de naufrage, les abysses froids et silencieux.

Des hommes, forgés à l’enclume de l’exigence, dont l’inflexible rigueur, qui ne souffrait aucune désobéissance, savait s’exprimer dans le silence foudroyant d’un regard, aussi puissamment que ne s’imprime distinctement sur la chair, la morsure cinglante d’une gifle.

Des hommes, dont nous, enfants, avions appris à craindre, comme de Dieux le courroux, les colères redoutables, de peur d’en porter le sceau, à jamais gravé d’une encre indélébile, sur la page d’albâtre de nos âmes innocentes.

Des hommes qui n’avaient de force que leur foi pour contrer le destin et ramener d’exil leur sensibilité refoulée, leurs larmes et leurs rires.

Des hommes qui ne savaient prendre la mer sans lui consentir une offrande; celle de jeter dans le vent, comme un cri viscéral, la douleur de leurs chants, comme on a de secours qu’une prière pour unique recours à l’énigme de vivre et qu’il n’ait de disparus dont on a porté la détresse et le deuil comme on porte une croix…

Et la mer était blanche
Écumant d’une rage
Qui s’était fait tourmente
À tous les vents du large,

Déchirant des orages
À profaner ces temples
Que ta voile contemple
Aux versants des nuages,

Éveillant sous les ondes
Les dragons de l’enfer
Fissurant de lumières
Les gorges profondes

Que chevauche tonnerre
De mille voix qui grondent
Qui roulent et se répondent
Aux vagues de l’éther.

Et que pleurent les haubans de misaine!
Du fardeau de toutes leurs misères
Eux qui tendent les voiles qui peinent
Sous l’assaut des noroîts en colère.

Que gémissent mâts et gouvernails!
Sous des mains qui s’épuisent en batailles
Et que souquent marins leurs cordages
Que se hisse pavillon de naufrage

Que mugissent ces mers qui se déchaînent!
Se nourrissent du fiel de leur haine,
Qu’elles emportent les cris loin des ports,
Quand l’espoir et la vie quitte le bord!

Se lestant de grisailles
À chavirer le ciel,
À priver de leurs ailes
Des gréements de passage

Qui ont risqués pour elle
Tant et tant de croisades
Et s’en font un linceul
À leur dernier voyage,

Insoumise, elle déferle
Aux parois des murailles
Qui défendent les grèves
Qu’elle assaille et martèle

Et falaises s’escarpent
Aux flots qui les écharpent
Ouvrant les paysages
De lambeaux de rivages

Dont elle broie le jade
Sous l’étaux de sa gueule
En brisants de dentelles
Que ses vagues soulèvent.

Hantant les eaux sauvages
Où sa rage s’épanche
Des carènes béantes
Hélant leurs équipages.

Elle s’enroule, se dénoue
En milles vagues fières
Qui déferlent et s’échouent
En fracas de tonnerre

Sur le ventre meurtri
Des amants de naguère
Qui croiseront l’oubli
Au lit des cimetières…

Et que pleurent les haubans de misaine!
Du fardeau de toutes leurs misères,
Eux qui tendent les voiles qui peinent
Sous l’assaut des noroîts en colère.

Que gémissent mâts et gouvernails!
Sous des mains qui s’épuisent en batailles
Et que souquent marins leurs cordages,
Que se hisse pavillon de naufrage

Que mugissent ces mers qui se déchaînent!
Se nourrissent du fiel de leur haine
Qu’elles emportent les cris loin des ports
Quand l’espoir et la vie quitte le bord!

Et la mer devint sage
Sous l’écho du silence
Et coucha sur les plages
Les fruits de sa vengeance:

Les restes d’une épave
Et d’une voile blanche
Maculant les rivages
Des sanglots de l’absence…

Une réponse à “Des hommes comme mon père (Nathalie Gauvin)

  1.  »Des hommes qui ne savaient prendre la mer sans lui consentir une offrande; celle de jeter dans le vent, comme un cri viscéral, la douleur de leurs chants ». Chef-d’oeuvre! Bravo, Nathalie au talent fou…

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