L’atelier de fabrication

Je m’imagine l’atelier où sont synthétisées les hormones. Le décor y est blanc. De larges vitres serpentent aux murs, elles sont opaques, on y observe l’extérieur sans pouvoir être espionné. Au sol, ce sont des poils de brosse à dents, c’est blanc, et chaque brin possède son propre éclat. Ils massent les voûtes plantaires nues, juste enrobées de charlottes bleues. On accroche son manteau à une seringue en plastique surdimensionnée, du genre de celles qu’on utilise pour nourrir les nouveaux-nés qui refusent le sein, ou la tétine, non, encore plus grandes !

Des nains hétérosexuels sont en charge des opérations, mais pourquoi, parce que ce sont les seuls qui ne seront pas tentés. Qui ne voleront pas la recette. Ils possèdent tous le même visage. Je me sens bien de penser qu’ils sont incroyablement laids. Plus ils le sont, et plus je me déploie dans la certitude que je suis belle. Manettes et leviers, le genre féminin coule d’un goulot épais, se superpose en couches de velours, brillantes, onctueuses. C’est le fluide tempéré qui me métamorphose.

Les organismes sur lesquels on effectue les tests sont tous nés hommes, mais les cœurs et les tripes sont caractéristiques des femmes : ils sont un peu plus roses, beaucoup plus cotonneux. Ces corps apparaissent vêtus. Vêtus de gaze d’or. Mais si je l’ai vu, en songe, c’était écrit quelque part, dans un roman, ou dans une opérette. Couchés sur des nattes, on les masse aux œstrogènes, à la façon des bovins qu’on réserve à l’excellence des bons vivants. Et ces corps mâles se laissent faire. Ainsi peints des pieds à la tête, ils étincellent. Chacune des teintes conférées, miroite et se perd sur les meubles, par les fenêtres opaques : des émaux sous les flammes. Ils explosent bientôt, terre, eau, feu, vent et la quintessence de leur élévation, ils irradient dans toutes les directions possibles, les voilà traits de lumière, diamants aux facettes tranchantes, tellement vrais soudain, ces corps sont tellement femmes.

Il y en a, bien sûr, sur qui la métamorphose échoue. J’évite d’y penser. Quand j’imagine l’atelier de synthèse, je porte ma concentration sur les victoires, ces nouvelles femmes, ce deuxième ordre féminin dont chaque individu se dresse, passe sur les genoux puis se déploie, déroulant le dos, vertèbre après vertèbre et les voilà debout sur des socles de verre. C’est un axe rotatif et un miroir sur pied, elles y pivotent lentement, en équilibre sur leurs demi-pointes, d’abord droites, rigides juste après fabrication, quand les muscles encore vierges de tout effort, ne connaissent pas leur incroyable souplesse. Cela arrive rapidement. Elles saisissent les paramètres de leur état, les grandeurs et les variables, ces unités de douceur, de fraîcheur, de sensualité. Placent leurs mains à leurs nuques, soulèvent leurs chevelures de satin, les ongles s’y insèrent avec indolence. Elles inspirent, côtes saillantes, pubis parfaitement triangulaires. Elles se cambrent, Marilyn thaïlandaises, tournent les têtes et aperçoivent l’affinement des tailles, le lissé des peaux, et comme les dos sont plats. Enfin, c’est ce losange aux côtés incurvés vers l’intérieur, entre les fesses et le départ des cuisses. Elles se trouvent délicieuses. Elles le sont. Moi aussi.

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