LA BRANLEUSE (Amélie Sorignet)

La Branleuse

Élève de lycée préparant le bac, Diane glandouille et semble investir une portion significative de son énergie intellectuelle et émotionnelle à copieusement mépriser l’intégralité de l’univers social ambiant. Celui-ci le lui rend bien, au demeurant, en la surnommant, sans aménité, la Branleuse. Dans le petit village des rives de la Garonne qu’elle habite avec son père, sa mère et son frère, le rythme de la vie s’active et prend corps avec la saison de la chasse au petit gibier. La chasse contemporaine, telle que l’observe Diane, n’est plus que l’ombre de ce que fut cette noble tradition française. Les chasseurs ont dégénéré, au sens littéral du terme. Leurs passe-temps cynégétiques et gastronomiques déclinant ne seraient plus qu’une brutalité micro-meurtrière pour morfales et ivrognes nostalgiques, déclassés et marginaux, et cela n’intéresserait pas grand monde…. Mais, triste bondance, il faut que l’ardeur écolo, simplette, citadine, généreuse et myope, se plonge les mains jusqu’aux coudes dans le sang des faux faisans sauvages d’élevage. Cette année là, un militant écolo est lardé de plomb dans les bois, dans des circonstances obscures, opaques, fétides. Il y a mort d’homme et l’affaire est étouffée. Mais Diane en a les sangs littéralement fouettés. Elle sent que son père est fort probablement mouillé dans ce fait divers sordide et cela fait puruler en elle des plaies plus anciennes, plus cuisantes.

Diane se met donc en chasse, curieuse, fouineuse, fouisseuse. C’est le patriarcat en grande capilotade, enflé, gangrené, éructant qu’elle se doit de fouailler de sa petite curiosité salace et grugeuse, dont le cynisme et la rouerie ne masquent qu’imparfaitement le trouble, l’angoisse, la fragilité. Mais, au milieu de cet univers de masculinité déliquescente, lâche et brutale, se niche le Braconnier. La pureté et la proximité à la nature qu’il incarne encore sont-elles authentiques ou fait-on face ici aussi à un autre type de fausse sauvagerie de toc. Pour le savoir, Diane, bouffée par la faim, la curiosité et le désir naissant, va devoir, sans espoir de retour, dévier de sa trajectoire initiale de chasse. Une quête douloureuse et toxique, une dérive sociologique implacable, se mettra alors en place, qui, de son village natal, à Bordeaux, puis à l’Angleterre, puis au Canada, finira par la mener d’homme en homme, dans une ambiance globale de jobardise gamine virant graduellement à la plus insensible des lucidités et à la plus amère des cruautés. Les plombs purulents et mortels voleront alors dans toutes les directions. Il va y avoir de la putasserie, de la boulimie et de la mort sale. Et cela nous sera jeté au visage avec une naïveté et une candeur d’exposition qui tranche incroyablement dans le vif de toutes nos habitudes littéraires.

Un roman du coming of age féminin où le comique le plus rabelaisien côtoie la douleur intérieure la plus virulente. De ce purin fielleux et acide du grand terroir foutu dont hérite la jeunesse contemporaine, peut-on encore voir s’extirper les fleurs sombres, feutrées et onctueuses de l’amour vrai et du sens élevé de la quête de soi?

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Amélie Sorignet (2010), la Branleuse, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou Mobi.

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