Je ne suis pas familier avec la spéléologie. Je me souviens qu’à l’université un camarade faisait partie d’un club… mais je trouvais légèrement farfelue cette activité de « loisir » qui consiste à s’enfoncer dans des grottes froides et humides dans lesquelles les araignées et les rats font sans doute bon ménage. Mais depuis que je connais Allan Erwan Berger, j’ai changé d’avis et je regrette presque de ne pas avoir accompagné cet ami dans ses randonnées souterraines. Déjà, dans le premier volume de Cosmicomedia, on peut suivre Lucas dans les catacombes parisiennes. C’est d’ailleurs suite à un éboulement que le héros de ce superbe roman trouve cet étrange objet qui lui permettra de pénétrer des mondes… Mais revenons au présent recueil.
Ces Histoires de ténèbres et de lumière portent essentiellement sur le milieu souterrain. Nouvelle après nouvelle, on suit le narrateur qui nous fait partager sa passion : la découverte de lieux et d’objets, témoins de temps révolus. Il en résulte un ensemble de textes qui relatent « certains de mes voyages aux lisières des royaumes immenses où rien n’est véritablement interprétable qu’à travers le rêve et ses dialogues, dans l’opacité des ténèbres. » Voilà, l’aventure est lancée : installez-vous confortablement dans votre fauteuil et accueillez, l’esprit grand ouvert, ces Histoire de ténèbres et de lumière qui constituent, qu’on le veuille ou non, le fond à partir duquel s’élève l’imagination des hommes et des femmes de ce monde.
Ces histoires sont au nombre de six : Sous la vieille ville, Le voyage aux Kerguelen, La Faction, La rivière du Géant, L’équinoxe et La seconde nef de Vaucroix. Tentons un résumé de chacune d’elle.
Sous la vieille ville, première nouvelle du recueil, raconte une sortie spéléologique dans les bas-fonds d’une vieille ville non identifiée par l’auteur. Dans ces souterrains, les protagonistes côtoient du meilleur comme du pire. Comme l’auteur le précise : « Dans le silence des galeries cavalcadent d’étranges carnavals, qu’on ne peut toucher, dont les langues ne sont pas enregistrées dans les livres bienséants, mais qui pourtant vous modèlent avec puissance. » Vaut mieux ne pas s’étendre sur le sujet…
Le voyage aux Kerguelen ne se déroule pas, comme le titre de cette nouvelle semble l’indiquer, dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), mais dans les catacombes de Paris, lieu touristique certes, mais dont les deux amateurs de spéléologie poussent jusqu’à la limite… En fait, dans certains sous-sol de la capitale de la France, nous sommes loin, très loin : « Il n’y a rien de plus éloigné d’une capitale que ses souterrains endormis. Il n’y a rien de plus séparé du présent que leurs galeries enfermées dans l’immobilité. Les carriers semblent les avoir quittées de la veille, mais leurs fantômes n’y reviendront pas […] Nous sommes aux antipodes. » Inutile, donc, de se rendre aux Kerguelen pour y aller…
Dans La faction, le narrateur est accompagné de quelques amis dans l’exploration d’une champignonnière en partie effondrée par endroits. Au milieu de nulle part, ils tombent sur un vieux chien que son maître a mis dans un sac avant de le jeter dans un puits. Ensemble, mais non sans difficulté, ils décident de sauver cet animal abandonné par « une immonde crevure ». Une belle leçon d’empathie envers les êtres vivants.
Quant à La Rivière du Géant, quatrième « histoire » de l’ensemble, et aussi la plus longue (c’est presque une novella), elle se passe sur l’île de Crète (Grèce). Alice Jeannet, une « touriste » suisse, s’aventure dans un coin perdu, difficile d’accès, dans lequel elle trouve à se loger dans le seul établissement du hameau. Elle s’ouvre de son projet aux tenanciers : pénétrer en profondeur dans une grotte pour ramasser des coquillages. Idée saugrenue s’il en est car cette grotte – celle de la Rivière du Géant – est entourée d’une aura de mystère par les habitants, comme c’est souvent le cas pour les grottes, me direz-vous… En effet, quand on y pénètre au-delà de la deuxième salle, on entend le souffle du Géant qui, plus on avance, plus se rapproche de nous. Jusqu’à ce que ça devienne insoutenable. Quel est le secret du mystère ? Lisez cette grosse nouvelle pour le découvrir.
Dans L’Équinoxe, le récit nous fait traverser les catacombes d’une ville non identifiée. Dans un réseau fourmillant de carrières abandonnées depuis 400 ans, le narrateur et son ami organisent des cérémonies, notamment la « fête de l’équinoxe ». L’entrée des catacombes est située au square Galilée, tout près du commissariat de police. C’est avec quatre policiers que nos deux amis, les « officiels » (seuls civils administrativement accrédités en ces tunnels), vont organiser la visite des lieux dans lesquels se trouvent déjà les membres d’une Amicale. Une jeune fille, désignée comme l’hiérophante, explique le sens de la rencontre en terminant par ces mots : « Écoutez bien, les gens : tout comme cette colonne d’eau, que le vieux dieu illumine, apporte la vision au milieu de notre assemblée vouée à l’ombre, les sciences apportent leur lumière au milieu des ténèbres où nous tâtonnons. Je vous souhaite à tous une merveilleuse année, fertile et productive ; soyez attentifs à vos ouvrages, et honorez les disciplines. »
Enfin, La seconde nef de Vaucroix raconte l’exploration des soubassements d’une église près de St-Ouen des Oucques dans la seconde nef de laquelle on aurait rendu un culte à la déesse Brigitte. Nos explorateurs amateurs, toutefois, découvrent un endroit inattendu qui a, en définitive, peu de chose à voir avec cet espace rêvé où quelques illuminés auraient rendu un culte ésotériste à la déesse…
Je pourrais bien sûr vous confier que j’ai adoré ces Histoires de ténèbres et de lumière, mais on me dirait impartial… car j’aime tout ce qu’écrit cet Allan E. Berger que, par ailleurs, je considère comme mon frère en cette humanité désolante. Donc, je termine en ne vous citant qu’une phrase, la dernière de La rivière du Géant : « Que la lumière est belle au fond des cœurs sans armes ! »
Maintenant, vous faites ce que vous voulez…
Allan E. Berger. Histoires de ténèbres et de lumière [nouvelles], ÉLP éditeur,