LE DERNIER SOUFFLE DU MONARQUE (Frédérick Maurès)

Ce roman nous rappelle que le papillon monarque revient toujours, par bandes migratoires immenses, au même point forestier du Mexique. Il arrive du Canada et son voyage nord-sud puis sud-nord se fait sur plusieurs générations de papillons. Et, malgré les formidables aléas du voyage, les sites de retour sont toujours atteints, avec une remarquable stabilité. Une nation aborigène mexicaine du cru, où le papillon monarque atterrit, juge d’ailleurs, en conscience, que c’est parce que les petites nefs ailées contiennent les âmes des ancêtres de la tribu que le voyage se fait toujours ainsi, sans encombre majeur.

Une telle harmonie papillonnante n’en met que plus lourdement en relief le dysfonctionnement humain qui la côtoie fatalement, dans la douleur et la tourmente. La pègre, les ripoux policiers, les travailleurs et travailleuses de l’industrie véreuse du transgénique agricole, les trafiquants de bois semi-précieux, les hommes aux ardeurs sexuelles tyranniques, les femmes aux secrets matrimoniaux ambivalents, tous papillonnent aussi, à leur manière. L’humanité entière semble converger pour confirmer que la vie éphémère des grands papillons migrateurs n’est rien, au regard de la durée encore plus éphémère de la netteté des consciences.

Frédérick Maurès nous a signalé que son intrigue un peu politique et un peu policière fournit un cadre narratif qui permet d’asseoir à la fois la configuration d’une ambiance et la dénonciation d’un certain nombre d’abus directs à l’encontre de notre grand cadre naturel humain et animalier. L’intensité du drame mis en place s’articule sur la possibilité semi-mythique (mais terriblement envisageable quand même), pour les papillons monarques, de ne plus pouvoir revenir côtoyer la nation aborigène dont ils sont à la fois l’admiration et l’âme. Lentement mais sûrement, cela pourrait survenir. Tout se dit d’ailleurs, dans cet ouvrage, avec la lenteur requise, en prenant la mesure de l’inexorable. Le style sobre, étoffé, majestueux du récit nous fait entrer dans un univers dense, chaud, torride, terrible aussi. Une inquiétude permanente, tangible, palpable.

Ceci dit, voici que vous êtes Pépito Molécon, un jeune citoyen mexicain étudiant de fac. Vous revenez au pays, retrouver votre maman qui vous adore et vlan, tout s’effondre. La police vous met la main au paletot. On vous accuse de meurtre. On brandit une étrange et fort mystérieuse pièce à conviction, pour vous incriminer. Vous ne comprenez pas ce qui se passe mais l’ambiance devient vite disgracieusement pinochetesque. On vous passe même du jus à travers le corps pour vous faire parler. Votre avocat est mi-véreux mi-incompétent. Il n’y a que votre fiancée qui semble encore vous croire. Et dans l’univers qui vous entoure, rien ne semble se passer comme cela devrait et tous ces êtres gros de mille secrets subitement se boursouflent, se déforment et vous font découvrir votre existence dans tout ce qu’elle n’est pas en apparence ou ne devait pas être.

Deux longues journées déjà que Pépito Molécon était enfermé dans sa cellule. Les visites n’avaient pas encore été autorisées. Peut-être en fin d’après-midi… S’il voulait bien se montrer coopératif, lui avait-on fait comprendre. Autrement dit, s’il voulait bien faciliter la tâche des autorités en avouant. Mais en avouant quoi ? Le moral en berne, Pépito venait de passer deux jours qui lui avaient paru des siècles. Prostré, assis sur le rebord d’une paillasse à l’hygiène plus que douteuse, les coudes plantés dans les genoux, tempes serrées entre ses poings crispés, il broyait du noir. Plus le temps avançait, plus il sombrait dans une forme de léthargie semi-dépressive.

Le matin même, l’avocat commis d’office pour sa défense ne lui avait pas paru être un foudre de guerre. Tout l’entretien s’était déroulé avec la désagréable sensation que Javier Dolgovar attendait désespérément quelque chose que Pépito se refusait à lui donner. Toutes les actions qu’il pourrait envisager, tous les recours qu’il n’excluait pas, tous ces alibis qu’éventuellement il aurait pu aider à confirmer, tous les peut-être, les sans doute et les probablement qu’il n’hésitait pas à distiller au fil de son discours unilatéral, tout, absolument tout semblait conditionné à l’accomplissement de certaines formalités que Pépito faisait mine de ne pas saisir. Pour lui, s’acquitter d’un pot-de-vin, c’était mettre délibérément le doigt dans un engrenage antinomique à son éthique personnelle, aux antipodes des valeurs inculquées par Réanna et Gabino.

C’est dit sans se dédire, et nous n’en dirons pas plus. Coloré de mille injustices, Franz Kafka est un papillon monarque mexicain. Et il éclot comme en dehors d’une sombre et ouateuse chrysalide en sortant tout doucement, tout langoureusement de l’encrier opaque, dense et mystérieux de Frédérick Maurès

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Frédérick Maurès, Le dernier souffle du monarque, Montréal, ÉLP éditeur, 2016, formats ePub ou Mobi.

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