Entretien avec Anita Snook à propos du dernier roman de Paul Laurendeau, FRED NIETZSCHE, TUEUR À DÉGAGE

Ysengrimus: Alors mademoiselle Anita Snook (1896-1991), vous êtes un des personnages du dernier roman de Paul Laurendeau, intitulé Fred Nietzsche, tueur à dégage.

Anita Snook: Un des personnages subsidiaires, oui. Oh, je joue vraiment un tout petit rôle.

Ysengrimus: Ce n’est pas vous, là, sur la couverture?

Anita Snook: Non… mais non voyons, c’est Amelia… Amelia Earhart. Dites, monsieur Ysengrimus, avant qu’on aille plus loin, je peux moi-même vous poser une question?

Ysengrimus: Je vous en prie, faites.

Anita Snook: YsengrimusYsengrimus… n’êtes vous pas vous-même l’écrivain Paul Laurendeau?

Ysengrimus: Habituellement, oui…

Anita Snook: Ah, ah…

Ysengrimus: Mais pas aujourd’hui.

Anita Snook: Non?

Ysengrimus: Non, aujourd’hui, je suis le pataphilosophiste René Podular Pibroch.

Anita Snook: Ah bon?

Ysengrimus: Qui, lui-même, a subrepticement endossé la défroque de Tiglon dans une toute autre histoire de Paul Laurendeau, sur laquelle nous reviendrons, quand ce sera la saison.

Anita Snook: Ouf… Ça me parait un petit peu compliqué, toutes ces allées et venues…

Ysengrimus: Oui, oui… nous sommes tous très affairés. C’est une manière de chaise musicale rhapsodique, ainsi que de dérive onirique, vous comprenez?

Anita Snook: Pas vraiment. Mais… enfin… c’est pas grave.

Ysengrimus: Adressez-vous à moi comme si je n’étais pas du tout Paul Laurendeau, ou même René Podular Pibroch.

Anita Snook: Bon… bon…

Ysengrimus: Où en étions nous?

Anita Snook: Je vous expliquais que ce n’est pas moi qui apparaît sur cette magnifique couverture que l’on doit à l’illustrateur Allan Erwan Berger mais bien Amelia Earhart. Et, dans ses lunettes protectrices de pilote, ce sont George Westinghouse et, justement, Fred Nietzsche, que vous discernez, comme en une vaporeuse brume oculaire.

Ysengrimus: Je les vois, oui. C’est donc plutôt par l’intermédiaire de mademoiselle Earhart que vous figurez dans ce roman?

Anita Snook: On peut dire ça comme ça, oui.

Ysengrimus: Mais encore?

Anita Snook: Bien… Amelia est une vieille amie. C’est moi qui lui ai enseigné le pilotage. Nous sommes deux solides et joyeuses figures de la sororité aviatrice d’autrefois, si vous voulez.

Ysengrimus: Je vois.

Anita Snook: Et quant à Fred… euh, ça ne vous dérange pas que j’appelle monsieur Nietzsche, Fred…

Ysengrimus: Aucunement.

Anita Snook: Eh bien, Fred, il m’a approché quelques semaines ou quelques mois (je ne sais plus exactement) avant sa première rencontre avec Amelia. Un homme charmant, ce Fred, très chic, très classe. Plein d’allure et de hauteur, d’ailleurs, pour un tueur. Et… très liant en même temps. Tout simple, en fait, au fond. De la conversation en plus, je ne vous dis que ça. Et curieux de tout. Une intelligence. Un véritable intellectuel allemand.

Ysengrimus: Donc, au moment des événements évoqués dans le roman, vous connaissiez Fred Nietzsche de relativement fraîche date.

Anita Snook: Voilà.

Ysengrimus: Iriez-vous jusqu’à admettre qu’il s’est un peu servi de vous comme d’un marchepied pour… disons… accéder à Amelia?

Anita Snook: Oh, indubitablement. Ça, ça ne fait absolument aucun doute dans mon esprit. Il était comme ça, le Fred. C’était un… vous avez un joli mot pour ça en québécois, un ra… quelque chose.

Ysengrimus: Un ratoureux.

Anita Snook: Voilà. Exactement.

Ysengrimus: Et vous vous en rendiez compte?

Anita Snook: Mais absolument. Tout en dentelles et en finesses tant que vous voudrez, ça restait gros comme une maison, la tactique de Fred. Il ne cessait pas de me parler d’Amelia. Il cherchait à faire sa connaissance, c’était patent.

Ysengrimus: Mais n’était-ce pas un bien mauvais tour à jouer à Amelia que de faire l’entremetteuse, comme ça?

Anita Snook: Vous plaisantez? D’abord entremetteuse, c’est un bien grand mot. Je préfère votre expression antérieure de marchepied, plus passive, plus objective, plus conforme aux faits aussi. Plus heureuse surtout, dans tous les sens du terme. Ceci primo…

Ysengrimus: Bon.

Anita Snook: Et, deusio, je la connaissais parfaitement, ma petite Amelia. Je savais trop bien que si elle avait été informée de la manœuvre dans laquelle Fred m’impliquait, elle se serait languie plantureusement de bien vouloir me laisser faire et le laisser, lui aussi, me laisser faire… et que tout se fasse…

Ysengrimus: Ah oui?

Anita Snook: Oh que oui. Vous pensez. Permettre de faire se réaliser la rencontre dans les nuages entre son petit monomoteur rouge et le pétard flamboyant de la grande philosophie irrationaliste allemande. Elle m’en aurait voulu à mort de ne pas avoir joué le petit rôle que Fred m’allouait dans tout cela… à son avantage à elle. Elle a toujours eu une immense admiration pour Fred, sans l’avoir jamais vu en personne.

Ysengrimus: Bon, je… je vous suis. Mais pourquoi Fred Nietzsche tenait-il tant à rencontrer Amelia Earhart?

Anita Snook: Alors là, mon petit loup, il va vous falloir lire le roman. Je ne vais pas me mettre à vous papoter ici tout ce qui s’est joué entre ces deux là…

Ysengrimus: Pourquoi non?

Anita Snook: Ah non! C’est à la fois bien trop romanesque et bien trop turlupiné. Il vous faut découvrir tout ça, dans le texte. N’avez-vous pas vu ce qu’en a dit Allan Erwan Berger?

Ysengrimus: Oui… euh… une seconde. C’est ICI. Fred Nietzsche a un contrat. Il doit dessouder le petit roi d’une tour géante. Pour ce faire, il a sa manière: en bon philosophe, il rentre dans la tête des gens et opère. Chute libre assurée. En chemin, on rencontre un sacré bestiaire: Jacques Cœur, Mikhaïl Bakounine, et même Garibaldi. On rencontre aussi des femmes: Sarah Bernhardt, instrument du destin, mais aussi Amelia Earhart, avec laquelle Fred a un ticket. On rencontre encore des tueuses et deux belles crapules. Pas de surhommes ici, à part l’auteur peut-être: astucieux, retors, jamais plat, jamais lourd non plus, mais jamais vide, toujours à vous faire poser l’ouvrage pour regarder l’horizon intensément et réfléchir avant de reprendre la lecture après un ricanement satisfait. Car les personnages de ce carrousel ne nous déçoivent jamais. La fin, évidemment, est pire que tout (Allan Erwan Berger).

Anita Snook: Voilà.

Ysengrimus: Que dire de plus?

Anita Snook: En effet, que dire de plus? Notez que, comme je joue un tout petit rôle, ce descriptif de Berger, eh bien, je n’ai pas l’honneur d’y figurer. Il vous aurait fallu faire cet entretien avec Amelia plutôt qu’avec moi, vous voyez. Elle est beaucoup plus au fait des détails fins du tout de la chose que moi…

Ysengrimus: Je suppose, oui. Le problème, c’est qu’Amelia Earhart, depuis sa disparition aéronautico-océanique en 1937, elle n’est plus tellement visible…

Anita Snook: Alors là, je vous comprends parfaitement. Elle me manque beaucoup, d’ailleurs.

Ysengrimus: Et… je dois l’avouer, il y a un peu plus…

Anita Snook: Ah bon? Quoi donc?

Ysengrimus: Bien, pour tout dire, je trouve que vous êtes un personnage parfaitement passionnant et je trouve que Laurendeau ne vous a pas assez mise en valeur, dans son roman.

Anita Snook: Vous êtes un gros flatteur, vous alors.

Ysengrimus: Vous aimez le hamburger?

Anita Snook: Seulement celui de chez Goya-Burger. Je vous signale aussi, puisque nous en sommes à parler de ces choses, que je ne fume plus, ne chique pas de tabac non plus. De plus, je vais au cinéma en salle et tous mes électroménagers fonctionnent au courant alternatif.

Ysengrimus: Mais… mais… mais… vous êtes vraiment du bon côté de l’histoire, vous, alors.

Anita Snook: Je le crois, oui.

Ysengrimus: Et… ahem… le billet de tramway illustré supra et infra, ça vous dit quelque chose?

Anita Snook: Aucunement.

Ysengrimus: Vous n’en auriez pas un à votre disposition, par hasard?

Anita Snook: Aucunement.

Ysengrimus: Ah, là là. Rien n’est parfait…

Anita Snook: Comme vous dites. Et ceci étant dit, pour tout dire, l’un dans l’autre, moi, malgré le rôle que j’y joue, ce roman, j’y comprends pas grand choses. Vous vous y retrouvez, vous?

Ysengrimus: Fort peu. Et son auteur reste par trop allusif pour ce qui en est de la documentation complémentaire. De fait, pour encrypter les choses encore plus, tout ce que j’ai en main concernant cet ouvrage, c’est une sorte de fiche signalétique parfaitement allusive et fort mystérieuse que m’a remis Laurendeau

Anita Snook: Ah bon! Faites voir?

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Liste signalétique des grands ancêtres culturels du roman Fred Nietzsche, tueur à dégage, œuvre en prose procédant (fort lâchement) du réalisme historico-fantastico-insolite
(par Paul Laurendeau)

Chansons:
I am the Walrus (Beatles)
Fly on a Windshield dans The Lamb lies down on Broadway (Genesis)
Vogue (Madonna)

Romans:
Plan B (Chester Himes)
A series of unfortunate events (Lemony Snicket)
Spinoza encule Hegel (Jean-Bernard Pouy)

Long métrages:
La dialectique peut-elle casser des briques? (René Viénet)
Zelig (Woody Allen)
The league of extraordinary gentlemen (Stephen Norrington)

Télévision et cyber-culture:
Dialogus (Sinclair Dumontais et René Pibroch)
Les grands esprits (Jean Boisvert, émission à Radio-Canada, 1982-1987)

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Anita Snook: Mouais… c’est cryptique, en effet. Mais ça ne manque pas d’un certain cachet intriguant.

Ysengrimus: Si vous le dites.

Anita Snook: Et, en tout cas, c’est bien digne du charme vaporeux de Fred et de la maestria tranchante d’Amelia, tout ça.

Ysengrimus: Exactement. Bien dit. Vous avez tout un sens de la formule, vous aussi, dans votre registre.

Anita Snook: Mais merci.

Ysengrimus: Et… à propos de ce hamburger?

Anita Snook: Vous êtes vraiment un décideur, vous. Bon. Il y a une fort saturnienne succursale de Goya-Burger pas trop loin de chez moi. On s’y retrouve ce soir?

Ysengrimus: Sans faute.

Anita Snook: Laissez-moi votre petit numéro.

Ysengrimus: Vous de même.

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Paul Laurendeau (2018), Fred Nietzsche, tueur a dégage, ÉLP Éditeur, Montréal, format ePub ou Mobi.

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Billet de tramway bakouninien (conception: Allan Erwan Berger)

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