On la définit comme étant une sorte de mélancolie liée au désir de revivre quelque chose dont on a gardé un agréable souvenir.
Pourquoi donc ce souvenir devrait-il être obligatoirement agréable ? Ne peut-on pas être nostalgique d’une période triste, difficile, dont le souvenir est associé à une souffrance ? Il ne s’agit pas d’être masochiste, non, mais pourquoi nier qu’il nous arrive de vouloir revivre un moment de douleur pour le seul plaisir de souffrir à nouveau, sachant aujourd’hui combien cette souffrance était inutile ?
Tenez, je vous raconte. J’ai six ans. Ma mère m’emmène chez l’une de ses vieilles tantes. Gentille, la tante, mais jamais je n’oublierai l’inconfort de cet après-midi.
Elle habitait dans une maison aussi vieille qu’elle, dont le tapis rugueux était taché de tout ce qu’elle y avait renversé au cours des cinquante dernières années. Les murs avaient la jaunisse. Comme ses rideaux blancs. Tout était vieux, tout sentait le vieux, tout puait le vieux. Elle avait un chat. Un gros chat méchant, de toutes les couleurs, qui puait lui aussi, qui avait perdu ses oreilles aux combats et qui me regardait continuellement, comme s’il voulait me sauter dessus. Même que la vieille tante me disait continuellement de ne pas m’en approcher parce qu’il était méchant.
Pendant qu’elle parlait avec ma mère, dans la cuisine, j’étais dans le salon adjacent. J’avais un œil sur la télé qu’elle m’avait allumée devant un vieux film que je ne comprenais rien et un œil sur le gros chat méchant qui avait un œil sur moi. La vieille tante m’a apporté un petit bol de bonbons pas enveloppés que je n’osais pas manger, de peur qu’ils soient plus vieux qu’elle ou que le chat ait pissé dessus, puis un verre de plastique sale avec du jus rouge dedans. J’avais peur du chat, mais j’avais aussi peur d’elle parce qu’elle était plus grosse que la cuisine et qu’elle avait des lunettes tellement épaisses qu’elle ne voyait pas au travers.
Pendant trois heures je suis resté là à surveiller le chat, la tante et la montre qu’on m’avait offerte quelques semaines plus tôt. J’étais mal. Je les écoutais parler et je surveillais le moment où elles n’auraient plus rien à se dire et où ma mère se lèverait en disant qu’il était l’heure de rentrer. Trois heures interminables durant lesquelles le chat, couché sur l’autre fauteuil, a régulièrement bougé pour le plaisir de me crisper, de me voir monter en sueurs. J’avais envie de pisser, mais je me retenais parce que j’avais peur de bouger et que le chat me saute dessus.
Oui, je l’avoue, j’ai la nostalgie de cet après-midi où j’aurais voulu être ailleurs. J’aimerais bien revivre ce moment. Pourquoi ? Parce que si je m’en souviens encore, c’est qu’il était intense. Or, s’il est quelque chose de plus vrai que le plaisir, plus vrai que le déplaisir, c’est l’intensité. Parlez-en à vous-même.