Le Voyage au lac silencieux (Nicole Gravel)

20210301_141729[1]

.

Une dame d’un âge avancé vers la fin de sa vie.
Au lit mis ici et, plus là-bas, sa lampe vacille, sait comment
Pour bien partir, s’élever au-dessus de ses souffrances.
Elle compte à rebours, caresse un bout de tissu.
En rond son ventre, son souffle ralentit, la musique cesse.
La porte s’entrouvre en pensée sur le moment, se précise.
Pour pouvoir le saisir, elle met son nez à contribution.
Tout immobile, clôturé, volets clos, ça sent d’abord le renfermé.
La porte lui offre son passage, lentement, elle entre, ils sont tous là.
L’antre de ses hiers l’abrite, broute les essences de son existence.
Un drôle de mélange s’en dégage, l’attrape presque en transe.
L’excitation, la fièvre, la nostalgie l’habitent, tout la domine, l’inspire.
À cet instant, rien ne compte que ce voyage la conduisant vers son horizon.
L’horloge remonte, remonte, puis elle se dépose davantage.
Humant un sillage, un délicat effluve, un vieux parfum d’époque.
Sur le coin devant la cheminée, une vieille tabatière en écorce près du porte-allumettes.
Un visage familier bruni par le soleil vient vers elle, bon présage, cheveux noirs, trente ans.
Il a du bagou, frondeur à ses heures, rien ne le trouble, il sait se battre.
Il chante, sa voix se projette partout, puis Il se penche, allume la pièce.
Timide, d’abord le feu s’agrippe en hauteur, le foyer ravive, s’anime.
L’humidité du soir parcourt son visage, transe frileuse, elle nu-pieds.
Elle grelotte de tant de nage à sauter seule au bout du quai dès son réveil.
J’aimerais y être pour vrai, me glisser dans l’eau aux sept heures sonnantes du matin.
Je voudrais y revenir pour, comme un témoin silencieux, attraper le poisson.
Me voir moi petite, et ramener d’elle le satin de sa jeunesse.
Pourtant, il me dit si souvent que le passé n’a pas d’importance.
Pourtant, quand je lui parle d’elle aujourd’hui, je vois bien.
Le crépitement du bois, dansent les formes du feu.
Son rayonnement, court ardent de près, se réduit abruptement
Dès qu’elle le quitte, elle court se blottir sous son couvert au lit.
Les trois portes des chambres entrebâillées pour les réchauffer.
Bien en face du foyer, la distance ne donne guère accès à sa chaleur.
Le lit prend son temps pour l’accueillir dignement, puis elle retrouve son nid.
L’odeur l’enivre, de sa voix grave mielleuse, il nous raconte l’histoire de la souris.
Maman rit aux éclats, mes frères rient encore, encore toujours plus fort.
Moi, je lutte dubitative pour retenir en moi ces moments de bonheur.
Je crois que j’ai réussi car, cinquante ans plus tard,
Je peux d’une fraction y retourner comme je le veux au lac calme
Comme avec ma mère, mes grands-mères et mes aïeux,
Comme cette dame beaucoup plus tard que je serai.

Le voyage au lac silencieux20210609_112926-1

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s