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ÉPISODE 8: SAUGRENUE À LA PLAGE
Qui d’entre vous, mesdames et messieurs, a déjà ressenti cet élan mystique, spirituel qui nous envahit lorsqu’on se fait envelopper par la brise? Qui, par une belle aurore qui annonce une journée parfaite, a déjà emprunté ce petit chemin joyeux qui mène vers une plage calme? On se sent amoureux. Amoureux de qui? De tout et de rien. De n’importe qui. De l’humanité tout entière… On se sent flotter, c’est exquis.
Saugrenue avait hésité entre ce scénario et un autre. Dans celui-ci, elle marchait tout doucement sur un chemin bordé d’arbres, dont les branches se rejoignaient au-dessus d’elle, formant un tunnel verdoyant. Au bout de ce tunnel verdoyant, une lumière chaude, sereine, apaisante. Sereine, apaisée, enfin! C’était inespéré, après cette vie de souffrances! Mais elle avait fini par opter pour la mer.
Elle progressait doucement vers le sable, vêtue d’un péplum immaculé. Elle avait vingt ans. Elle était coquette, à vingt ans. Et plutôt mignonne, également. Elle sentit soudain sur elle des regards affectueux. Elle soupira d’aisance. De gentilles personnes l’invitaient à faire connaissance, à se joindre à eux… Saugrenue sentait qu’elle pouvait leur faire confiance. Elle nouerait vite des amitiés avec ces êtres si charmants. Leurs regards étaient doux. Leurs voix, suaves. Leurs gestes, affectueux. Des anges. Tous étaient heureux de l’accueillir. Ils lui murmuraient des paroles apaisantes, lui caressant gentiment les cheveux. Ils connaissaient sa vie de sacrifices. C’était fini, maintenant. Elle serait bien, à l’avenir. Plus jamais de coups. Plus jamais d’abandon. Plus jamais de tâches dégradantes. Le repos éternel. Que du bonheur! De la brise et du soleil. Des amis, de l’affection. Des siestes et de la chaleur. Une douce sensation de flottement.
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— Saugrenue!
Cette fois-ci, ce n’était pas Grotesque qui hurlait. C’était Gargantuesque.
— Saugrenue ! Réveille-toi! À l’aide! Qu’on aille chercher un médecin!
Cette fois-ci, ce n’était pas Saugrenue qui pleurait. C’était Gargantuesque.
Roulée en boule comme un fœtus sur les coussins de la roulotte, tout emmitouflée dans les couvertures, Saugrenue paraissait avoir posé sa joue contre celle de Morphée. Les traits détendus, elle semblait déambuler dans un monde onirique voluptueux. Son visage, habituellement crispé sous l’effort ou affaissé sous les larmes, avait maintenant une expression que Gargantuesque ne lui avait jamais vue. Une quiétude qui l’embellissait.
Dans sa main gauche, un flacon d’opium, vide.
Dans sa main droite, un coquillage.
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«Ma belle Farfelue, je suis tellement désolée de t’avoir laissé tomber de la sorte. Je me rends compte, trop tard, que je me suis pourtant laissé duper par Biscornue , qui m’a bien embobinée.
De nous voir tous nous ranger du côté de l’agresseuse a dû te heurter profondément. Surtout lorsque moi-même, je l’ai fait. Je t’ai crue folle, Farfelue. J’ai cru que tu inventais cette histoire pour te faire plaindre. Par envie pour Biscornue qui réussit tout mieux que toi.
Je comprends bien combien ça a dû être une double humiliation pour toi. Les abus, d’abord, puis le déni et le rejet, ensuite. Je t’aime beaucoup et je te souhaite tout le bonheur que tu mérites. Saugrenue.»
Saugrenue est finalement entrée dans la voie des aveux. Elle reconnaît ses torts. Voilà qui est bien!
Ça fait du bien quand des gens qui nous ont blessé reconnaissent qu’ils ont eu tort.
Dommage que Biscornue n’en fasse pas autant.