Arthur Conan Doyle est universellement connu pour ses romans policiers qui mettent en scène le personnage de Sherlock Holmes. Mais que sait-on de ses autres romans, notamment de ses romans historiques, de loin ses préférés, et, surtout, de ses romans fantastiques? Moi, en tout cas, je n’en savais pas grand-chose jusqu’à ce que je découvre les récits, mi-S.-F., mi-fantastique, qui ont pour héros le professeur Challenger. Parmi ces romans, j’ai été particulièrement impressionné par La ceinture empoisonnée, œuvre libre de droit publiée en 1913.
Tout part d’une lettre ouverte que le professeur Challenger fait paraître dans le Times de Londres. En réponse à un astronome qu’il traite d’imbécile, Challenger énonce l’idée que le spectre des planètes, tel qu’il se présente en ce moment, annonce un événement qui menace l’existence des hommes et des femmes sur cette terre. Pour en savoir davantage, Malone, un jeune journaliste du Daily Gazette et ami du professeur, se propose de lui rendre visite en compagnie de deux vieux amis. Ensemble, ils prennent le train avec, chacun en main, une bouteille d’oxygène. Cette demande, jugée saugrenue, leur a été faite par le professeur lui-même avant leur départ. Mais voilà qu’une fois dans la maison de campagne de leur ami, des événements étranges se produisent autour d’eux, confirmant la théorie du professeur selon laquelle une ceinture d’éther serait en voie d’empoisonner les habitants de la planète. Grâce à l’oxygène, les quatre amis disposent d’une vingtaine d’heures de plus, ce qui leur permettent de discourir sur les événements. Comme l’écrit le jeune Malone dans son récit : « Pour quelques heures, la science et la prévoyance d’un homme préservaient notre petite oasis de vie dans cet immense désert de la mort, nous évitaient de participer à la catastrophe générale ». Ces quatre hommes, donc, tapis dans une pièce en respirant de l’oxygène en bouteille, attendent patiemment la fin du monde… Mais cette fin du monde annoncée ne s’avère que de courte durée, en fait… ce qui n’empêche pas le savant et ses amis d’anticiper la disparation de toute trace humaine sur la planète Terre.
Ce qui m’a passionné dans ce roman, que d’aucuns qualifient de « populaires », c’est qu’il recèle une grande leçon d’humanisme. En effet, Conan Doyle ramène tout à l’homme, non à son Dieu et, ce faisant, nous sert une leçon magistrale d’humilité : « L’étroit sentier sur lequel est engagée notre existence physique se trouve bordé d’abîmes insondables ». Par ailleurs, dans La ceinture empoisonnée, Doyle aborde le phénomène de la mort avec une lucidité remarquable :
« La mort a été suspendue au-dessus de nos têtes. Nous savons qu’à tout moment elle peut revenir. Sa présence lugubre assombrit nos existences ; mais qui peut nier que sous cette ombre le sens du devoir, le sentiment de la responsabilité, une juste appréciation de la gravité de la vie et des fins, l’ardent désir de nous développer et de progresser se sont accrus, et que nous avons fait entrer toutes ces considérations dans nos réalités quotidiennes au point que notre société en est transformé du tout au tout ? Par-delà les sectarismes, par-delà les dogmes, quelque chose existe : disons un changement de perspectives, une modification de notre échelle des proportions, la compréhension de notre insuffisance et de notre fragilité, la certitude formelle que nous existons par tolérance, que notre vie est suspendue au premier vent un peu froid qui souffle de l’inconnu. Mais de ce que le monde est devenu plus grave, il ne s’ensuit pas, selon moi, qu’il soit devenu plus triste. Sûrement, nous convenons que les plaisirs sobres et modérés du présent sont plus profonds et plus sages que les folles bousculades bruyantes qui passaient si souvent pour la joie dans les temps d’autrefois – ces temps si proches et pourtant si inconcevables aujourd’hui ! Les existences, dont on gaspillait le vide dans les visites qu’on recevait et qu’on rendait, dans le vain entretien fastidieux des grandes maisons, dans la préparation de repas compliqués et pénibles, ont maintenant trouvé à se remplir sainement dans la lecture, la musique, et la douce communion de toute une famille. Des plaisirs plus vifs et une santé plus florissante les ont rendues plus riches qu’auparavant, même après qu’aient été acquittées ces contributions accrues au fonds commun qui a ainsi élevé le standard de vie dans les îles Britanniques. »
Comme on l’aura déjà compris, Arthur Conan Doyle nous invite à revoir notre mode de vie en fonction de notre finitude – cette mort qui peut se manifester à n’importe quel moment de notre existence. S’en remettre à Dieu relève ainsi d’un sentiment de vanité fort éloigné de l’esprit scientifique de l’honnête citoyen.
Je vous invite à (re)lire La ceinture empoisonnée de Sir Arthur Conan Doyle, ne serait-ce que pour redécouvrir ce scientifique qui, pour des raisons qui lui sont propres, a pris la décision de raconter des histoires.
- Arthur Conan Doyle. La ceinture empoisonnée (The Poison Belt). Ebooks libres et gratuits, c1913, 2008.