ÉMOTIONS — 18. La galanterie (par Sinclair Dumontais)

Vieux jeu, la galanterie ? Allons donc. Ce qui est vieux jeu, c’est plutôt de la tenir pour un vestige d’une époque révolue, de croire que considérer les femmes comme étant les égales de l’homme consiste aujourd’hui à les laisser ouvrir elles-mêmes les portes, ramasser ce qu’elles viennent d’échapper, porter les sacs d’épicerie. C’est croire que le féminisme dispense l’homme de poser ces petits gestes de délicatesse qui ne font pas des femmes des précieuses ridicules, mais au contraire des personnes que l’on respecte.

Je devance une vieille dame pour lui ouvrir la porte de cette boutique où elle s’apprête à entrer. Cette galanterie est celle de la politesse, de la gentillesse, de la bienveillance. Loin d’en être offusquée, elle se sent soudainement respectée, considérée. Pour peu qu’elle soit coquette, malgré son âge, elle se sentira même plus jeune qu’elle ne le croyait. Elle revivra cette époque où les garçons se pressaient pour être les premiers à la lui ouvrir. Que me coûte cette galanterie, même si dans les faits elle peut très bien ouvrir elle-même cette porte ? Je ne la connais pas, mais je prends plaisir à lui offrir ce plaisir.

Ma compagne et moi décidons d’aller marcher à la campagne, sur l’un de ces anciens chemins de halage qui bordent les canaux que les chemins de fer ont rendus inutiles. Pour s’y rendre, il faut prendre la voiture. Avant de moi-même y monter, j’ouvre sa portière, j’attends qu’elle soit installée, puis je la referme. Vieux jeu ? Ridicule ? Risible ? Oh que non. Ma voiture est une vieille bourrique qui tombe en lambeaux, mais la voilà devenue un fiacre dans lequel ma compagne monte à la manière d’une princesse. Nous nous connaissons depuis longtemps, nous n’avons plus de secrets l’un pour l’autre, mais cette galanterie lui montre toute l’importance qu’elle a pour moi et cette petite attention n’est rien de moins pour elle qu’une caresse. Jamais elle ne la tiendra pour un réflexe de dominant, toujours une marque de tendresse.

La galanterie est l’une des formes les plus poétiques et les plus expressives de la considération. Que ce soit à l’égard des vieilles dames ou de ma compagne, elle me procure toujours la même joie de savoir combien ce geste anodin est apprécié pour ce qu’il représente. Pour la vieille dame, cette galanterie est la preuve qu’il y a de l’humain dans le béton qui l’entoure. Pour ma compagne, elle est la preuve que le temps n’est pas venu à bout de mon affection, que je suis encore celui qui porte toute son attention sur elle.

Les femmes souffrent du manque de galanterie des hommes. Les hommes ne se rendent pas compte de l’importance émotive de ces petits gestes qu’ils croient à tort avoir été bannis par le courant féministe. C’est à la fois mal les comprendre et se priver.

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