Il se pratique depuis toujours et par tout le monde.
Pour certains, c’est imposé. Ils ne le choisissent pas : ce sont les autres qui les isolent. Parce qu’ils sont méchants ou parce qu’ils sont inintéressants. Pour moi qui ne suis ni méchant ni inintéressant, c’est du moins ce que je crois, c’est un bonheur que je m’offre volontairement. C’est moi qui le décide.
Je pratique l’isolement depuis tellement longtemps, depuis toujours il me semble, que je peux aujourd’hui m’isoler sans même m’isoler. Je suis dans un lieu public et sur simple décision tout devient invisible autour de moi. Je n’entre pas dans une bulle : ce sont les autres qui entrent dans une immense bulle, me laissant seul à l’extérieur. Je ne me retire pas du monde, non. Ce sont les autres qui s’en retirent. Idem quand je ne suis pas dans un lieu public : c’est tout ce qui m’entoure qui s’isole de moi. Plus rien n’existe sauf moi.
Pourquoi m’isoler ? Parce que « kriss que ça fait du bien » (version québécoise) et « putain que ça fait du bien » (version française). Ça fait du bien de tout faire disparaître autour de soi, de décider que pendant quelques minutes ou même quelques heures, oui c’est possible, plus rien n’existe. Comme si nous sortions du film dans lequel nous jouons un rôle, principal ou secondaire, acteur ou figurant, et que nous tournions la tête pour ne plus le voir.
Ce qu’il y a de magique, dans ces moments magiques, c’est que je n’existe réellement que parce qu’il y a de l’existence autour de moi. Ignorer toute cette existence fait du bien. C’est reposant. Sans passé et sans futur, il n’y a ni joie ni tristesse. Il n’y a que la douce neutralité de l’absence de soi dans ce monde. Avec un peu d’entraînement, il n’y a même plus de présent. Ce présent est pour les autres, car moi je n’existe plus.
C’est une schizophrénie volontaire, un dysfonctionnement contrôlé de tous ces signaux que les sens envoient au cerveau pour qu’il les traite à la manière d’une gare de triage. C’est un suicide temporaire qui permet de se retirer du temps, mais aussi de l’espace pour les oublier tous les deux, comme s’ils n’existaient plus. C’est l’isolement non pas des autres, mais du monde. Un sommeil éveillé, un coma profond. Dans cet état que je retrouve de temps à autre, tout ce que je vois se décompose pour ne rester que des couleurs, des choses qui n’ont plus de nom, plus d’existence, et que mes yeux ne voient plus en trois, mais en deux dimensions. Tout devient une toile que je ne regarde que d’un seul œil pour m’assurer de n’en voir que les textures et les couleurs.
C’est magique parce que c’est possible.